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Sous Haute Tension
Blake Pierce


Les Origines de Riley Paige #6
«Un chef-d’œuvre de suspens et de mystère ! L’auteur a fait un travail exceptionnel pour développer les personnages, avec un côté psychologique si bien utilisé que nous avons l’impression d’être dans leurs têtes, vivant leurs peurs et se réjouissant pour leurs succès. L’intrigue est menée avec intelligence et vous divertira jusqu’à la fin. Remplis de rebondissements, ce livre vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page.». –Critique littéraire et cinématographique, Roberto Mattos (à propos de Sans Laisser de Traces). SOUS HAUTE TENSION (Les Origines de Riley Paige – Tome 6) est le livre N°6 de la nouvelle série de thrillers psychologiques de l’auteur à succès N°1 Blake Pierce, dont le best-seller gratuit Sans Laisser de Traces (Tome 1) a reçu plus de 1 000 critiques cinq étoiles… Lorsque des victimes sont retrouvées mortes par électrocution, c’est au brillant nouvel agent du FBI, Riley Paige, âgée de 22 ans, d’entrer dans l’esprit pervers d’un tueur en série et de l’arrêter avant qu’il ne puisse faire d’autres victimes… Riley, fraîchement sortie de l’académie et qui vient de clôturer sa dernière affaire, prend ses marques dans sa carrière au FBI lorsqu’un revirement choquant menace son partenariat avec son mentor, Jake et ébranle tout ce qu’elle croyait savoir… Riley peut-elle garder sa vie personnelle sous contrôle tout en essayant d’attraper un tueur diabolique? Un thriller rempli d’action avec un suspens palpitant, SOUS HAUTE TENSION est le 6e tome d’une nouvelle série captivante qui vous donnera envie de tourner les pages jusqu’au bout de la nuit. Il ramène les lecteurs 20 ans en arrière, au commencement de la carrière de Riley, et il vient compléter parfaitement la série SANS LAISSER DE TRACES (Une Enquête de Riley Paige), qui comprend 17 tomes.





Blake Pierce

SOUS HAUTE TENSION




SOUS HAUTE TENSION




(LES ORIGINES DE RILEY PAIGE – TOME 6)




B L A K EВ В  P I E R C E



Blake Pierce

Blake Pierce est l’auteur de la série à succès mystère RILEY PAIGE, qui comprend dix-sept volumes (pour l’instant). Black Pierce est également l’auteur de la série mystère MACKENZIE WHITE, comprenant quatorze volumes (pour l’instant) ; de la série mystère AVERY BLACK, comprenant six volumes ; et de la série mystère KERI LOCKE, comprenant cinq volumes ; de la série mystère LES ORIGINES DE RILEY PAIGE, comprenant six volumes (pour l’instant), de la série mystère KATE WISE comprenant sept volumes (pour l’instant) et de la série de mystère et suspense psychologique CHLOE FINE, comprenant six volumes (pour l’instant) ; de la série de suspense psychologique JESSE HUNT, comprenant sept volumes (pour l’instant), ; de la série de mystère et suspense psychologique LA FILLE AU PAIR, comprenant deux volumes (pour l’instant) ; et de la série de mystère ZOÉ PRIME, comprenant trois volumes (pour l’instant) ; de la nouvelle série de mystère ADÈLE SHARP et de la nouvelle série mystère VOYAGE EUROPÉEN.



Lecteur avide et admirateur de longue date des genres mystère et thriller, Blake aimerait connaître votre avis. N’hésitez pas à consulter son site www.blakepierceauthor.com afin d’en apprendre davantage et de rester en contact.








Copyright В© 2020 by Blake Pierce. Tous droits rГ©servГ©s. Sauf autorisation selon Copyright Act de 1976 des U.S.A., cette publication ne peut ГЄtre reproduite, distribuГ©e ou transmise par quelque moyen que ce soit, stockГ©e sur une base de donnГ©es ou stockage de donnГ©es sans permission prГ©alable de l'auteur. Cet ebook est destinГ© Г  un usage strictement personnel. Cet ebook ne peut ГЄtre vendu ou cГ©dГ© Г  des tiers. Vous souhaitez partager ce livre avec un tiers, nous vous remercions d'en acheter un exemplaire. Vous lisez ce livre sans l'avoir achetГ©, ce livre n'a pas Г©tГ© achetГ© pour votre propre utilisation, retournez-le et acheter votre propre exemplaire. Merci de respecter le dur labeur de cet auteur. Il s'agit d'une Е“uvre de fiction. Les noms, personnages, sociГ©tГ©s, organisations, lieux, Г©vГЁnements ou incidents sont issus de l'imagination de l'auteur et/ou utilisГ©s en tant que fiction. Toute ressemblance avec des personnes actuelles, vivantes ou dГ©cГ©dГ©es, serait purement fortuite. Photo de couverture Copyright Mimadeo sous licence Shutterstock.com.



Blake Pierce est l’auteur de la série à succès mystère RILEY PAIGE, qui comprend dix-sept volumes (pour l’instant). Black Pierce est également l’auteur de la série mystère MACKENZIE WHITE, comprenant quatorze volumes (pour l’instant) ; de la série mystère AVERY BLACK, comprenant six volumes ; et de la série mystère KERI LOCKE, comprenant cinq volumes ; de la série mystère LES ORIGINES DE RILEY PAIGE, comprenant six volumes (pour l’instant), de la série mystère KATE WISE comprenant sept volumes (pour l’instant) et de la série de mystère et suspense psychologique CHLOE FINE, comprenant six volumes (pour l’instant) ; de la série de suspense psychologique JESSE HUNT, comprenant sept volumes (pour l’instant), ; de la série de mystère et suspense psychologique LA FILLE AU PAIR, comprenant deux volumes (pour l’instant) ; et de la série de mystère ZOÉ PRIME, comprenant trois volumes (pour l’instant) ; de la nouvelle série de mystère ADÈLE SHARP et de la nouvelle série mystère VOYAGE EUROPÉEN.



Lecteur avide et admirateur de longue date des genres mystère et thriller, Blake aimerait connaître votre avis. N’hésitez pas à consulter son site www.blakepierceauthor.com afin d’en apprendre davantage et de rester en contact.



LIVRES PAR BLAKE PIERCE




LES MYSTГ€RES DE ADГ€LE SHARP

LAISSГ€ POUR MORT (Volume 1)

CONDAMNГ€ ГЂ FUIR (Volume 2)

CONDAMNГ€ ГЂ SE CACHER (Volume 3)


LA FILLE AU PAIR

PRESQUE DISPARUE (Livre 1)

PRESQUE PERDUE (Livre 2)

PRESQUE MORTE (Livre 3)


LES MYSTГ€RES DE ZOE PRIME

LE VISAGE DE LA MORT (Tome 1)

LE VISAGE DU MEURTRE (Tome 2)

LE VISAGE DE LA PEUR (Tome 3)


SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE JESSIE HUNT

LA FEMME PARFAITE (Volume 1)

LE QUARTIER IDÉAL (Volume 2)

LA MAISON IDÉALE (Volume 3)

LE SOURIRE IDÉALE (Volume 4)

LE MENSONGE IDÉALE (Volume 5)

LE LOOK IDÉAL (Volume 6)

LA LIAISON IDÉALE (Volume 7)

L’ALIBI IDÉAL (Volume 8)


SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE CHLOE FINE

LA MAISON D’À CÔTÉ (Volume 1)

LE MENSONGE D’UN VOISIN (Volume 2)

VOIE SANS ISSUE (Volume 3)

LE VOISIN SILENCIEUX (Volume 4)

DE RETOUR ГЂ LA MAISON (Volume 5)

VITRES TEINTÉES (Volume 6)


SÉRIE MYSTÈRE KATE WISE

SI ELLE SAVAIT (Volume 1)

SI ELLE VOYAIT (Volume 2)

SI ELLE COURAIT (Volume 3)

SI ELLE SE CACHAIT (Volume 4)

SI ELLE S’ENFUYAIT (Volume 5)

SI ELLE CRAIGNAIT (Volume 6)

SI ELLE ENTENDAIT (Volume 7)


LES ORIGINES DE RILEY PAIGE

SOUS SURVEILLANCE (Tome 1)

ATTENDRE (Tome 2)

PIEGE MORTEL (Tome 3)

ESCAPADE MEURTRIERE (Tome 4)

LA TRAQUE (Tome 5)

SOUS HAUTE TENSION (Tome 6)


LES ENQUГЉTES DE RILEY PAIGE

SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)

RÉACTION EN CHAÎNE (Tome 2)

LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)

LES PENDULES À L’HEURE (Tome 4)

QUI VA ГЂ LA CHASSE (Tome 5)

À VOTRE SANTÉ (Tome 6)

DE SAC ET DE CORDE (Tome 7)

UN PLAT QUI SE MANGE FROID (Tome 8)

SANS COUP FÉRIR (Tome 9)

ГЂ TOUT JAMAIS (Tome 10)

LE GRAIN DE SABLE (Tome 11)

LE TRAIN EN MARCHE (Tome 12)

PIÉGÉE (Tome 13)

LE RÉVEIL (Tome 14)

BANNI (Tome 15)

MANQUE (Tome 16)

CHOISI (Tome 17)


UNE NOUVELLE DE LA SÉRIE RILEY PAIGE


RÉSOLU




SÉRIE MYSTÈRE MACKENZIE WHITE

AVANT QU’IL NE TUE (Volume 1)

AVANT QU’IL NE VOIE (Volume 2)

AVANT QU’IL NE CONVOITE (Volume 3)

AVANT QU’IL NE PRENNE (Volume 4)

AVANT QU’IL N’AIT BESOIN (Volume 5)

AVANT QU’IL NE RESSENTE (Volume 6)

AVANT QU’IL NE PÈCHE (Volume 7)

AVANT QU’IL NE CHASSE (Volume 8)

AVANT QU’IL NE TRAQUE (Volume 9)

AVANT QU’IL NE LANGUISSE (Volume 10)

AVANT QU’IL NE FAILLISSE (Volume 11)

AVANT QU’IL NE JALOUSE (Volume 12)

AVANT QU’IL NE HARCÈLE (Volume 13)

AVANT QU’IL NE BLESSE (Volume 14)


LES ENQUÊTES D’AVERY BLACK

RAISON DE TUER (Tome 1)

RAISON DE COURIR (Tome2)

RAISON DE SE CACHER (Tome 3)

RAISON DE CRAINDRE (Tome 4)

RAISON DE SAUVER (Tome 5)

RAISON DE REDOUTER (Tome 6)


LES ENQUETES DE KERI LOCKE

UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (Tome 1)

DE MAUVAIS AUGURE (Tome 2)

L’OMBRE DU MAL (Tome 3)

JEUX MACABRES (Tome 4)

LUEUR D’ESPOIR (Tome 5)




PROLOGUE


Julian Banfield inspira profondément, debout dans sa cuisine. Il adorait ce mélange d’odeurs de café fraîchement moulu et de bacon grillé.

Profites-en tant que Г§a dure, se dit-il en retournant le bacon avec une spatule.

Sheila, sa femme, rentrerait bientôt de la tournée promotionnelle de son livre, peut-être même avant qu’il ne soit couché. Julian devait s’assurer de ne laisser aucune trace de bacon ni des autres extras forts en cholestérol qu’il s’était accordé en son absence. Et il ne devait pas oublier de vaporiser la cuisine de désodorisant pour en effacer la délicieuse, mais persistante odeur.

Malgré son amour pour Sheila et le fait qu’ils aient toujours été heureux, il devait admettre qu’il avait apprécié son absence cette semaine. Après trente-cinq ans de mariage, il ne pouvait pas vraiment dire qu’elle lui avait manqué et il ne s’imaginait pas lui avoir spécialement manqué non plus. C’était plutôt une expérience intéressante, pour tous les deux.

Et c’était agréable de ne pas avoir à écouter ses réflexions, gentilles, mais insistantes sur ses péchés mignons et autres écarts. Il avait pu manger des donuts et des pizzas, sauter des séances de sport et prendre un ou deux verres de bourbon après le dîner.

Tout Г§a sera fini lorsque Sheila sera rentrГ©e.

Saisis l’instant, se dit-il.

Il retira le bacon de la poêle et cassa deux œufs dans la graisse encore frémissante. Puis il inséra un toast dans le grille-pain et se servit du jus d’orange. Quand les œufs  furent prêts, il les cuit de l’autre côté pendant quelques secondes avant de les retourner. Satisfait de l’aspect de la pellicule enveloppant le jaune, il mit les œufs sur une assiette juste à temps pour récupérer son toast.

Il posa l’assiette remplie de bacon, d’œufs  et du toast sur la table de la cuisine, puis s’assit et étala un énorme morceau de beurre sur celui-ci, une autre gourmandise qu’il allait devoir oublier au retour de Sheila. Tout en commençant à manger, il se surprit à penser à ses séances de thérapie du lendemain. Son premier rendez-vous du matin était un jeune homme nommé Dennis Jones. À cause d’une mauvaise gestion de ses impulsions, il avait récemment été arrêté pour vol.

Julian avait fait de son mieux pour convaincre le juge que la kleptomanie de Dennis était une affaire médicale et non criminelle ; un trouble obsessionnel du comportement plutôt qu’un manque de sens moral. Après tout, le gamin volait des trucs qui ne l'intéressaient même pas.

Mais le juge Г©tait toujours sur la rГ©serve concernant le dossier de Dennis. Pour lui Г©viter la prison, Julian allait devoir lui faire changer dГ©finitivement de comportement.

L’objectif de demain serait de persuader Dennis d’ajouter de la naltrexone à son traitement, qui se composait déjà de fluoxétine et de bupropion. Dennis était névrosé et pas particulièrement futé. Même s’il ne tombait pas dans la dépression ou la paranoïa, certains sites internet complotistes l’avaient convaincu que le gouvernement utilisait les médicaments psychiatriques pour contrôler la population. Aujourd’hui, Julian espérait réussir à lui faire oublier cette idée ridicule.

Il ronchonna, Г©nervГ© par les problГЁmes que ce genre de site engendrait.

Internet ne facilite vraiment pas mon travail, pensa-t-il.

Pour lui, les réseaux sociaux et autres activités en ligne affaiblissaient la santé mentale de la société tout entière. Sheila s’était bien adaptée à cette digitalisation, mais Julian avait parfois l’impression d’être un vestige d’un temps plus simple et plus sensé.

Pire, il savait que ses jeunes collègues le considéraient comme un vieux grincheux qui n’arrivait pas à vivre avec son temps. Il attendait avec impatience la retraite, mais elle n’arriverait que dans deux ou trois ans.

En savourant son encas, il commença à envier Sheila. Elle avait pu abandonner son cabinet de thérapie familiale après avoir écrit un best-seller sur ces mêmes problèmes liés aux nouvelles technologies qui hantaient Julian. Maintenant, elle pouvait voyager à travers le pays, faire des discours et des conférences, dédicacer ses livres et profiter de l’admiration de son public.

Г‡a doit ГЄtre sympa, pensa Julian.

Il était déterminé à ne pas tomber dans la jalousie. Après tout, les droits d’auteur de Sheila allaient rendre leurs vieilles années beaucoup plus agréables. Et il était content qu’elle apprécie sa nouvelle vie.

Julian finit de manger et mit son assiette, son verre et ses couverts dans l'évier. Alors qu’il commençait à les laver, il crut entendre un bruit. Il ferma le robinet et tendit l’oreille.

Sheila Г©tait-elle rentrГ©e plus tГґt que prГ©vu ?

Si c’était le cas, impossible de masquer l’odeur de bacon grillé.

Pris la main dans le sac, pensa-t-il.

Il n’aurait plus qu’à lui faire un sourire embarrassé et admettre son comportement. Sheila serait boudeuse, mais pas désagréable. Ils riraient gentiment, pendant qu’il ferait des promesses qu’il ne tiendrait pas.

Il attendit un moment, l’oreille tendue, mais n’entendit rien. Persuadé d’avoir halluciné à cause de sa culpabilité, il termina la vaisselle. Alors qu’il s’essuyait les mains, un autre bruit attira son attention.

Cette fois, il Г©tait sГ»r de ne pas avoir rГЄvГ©.

– Sheila ? appela-t-il.

Aucune rГ©ponse.

Il entra dans le salon et le balaya du regard. Personne. Pourtant il était sûr d’avoir entendu quelque chose.

Il se tourna vers le couloir d’entrée et vit que la porte menant au bureau de Sheila était fermée.

Il ressentit une lГ©gГЁre inquiГ©tude.

Sheila était peut-être rentrée, elle avait senti le bacon et s’était enfermée dans son bureau sous le coup de la colère. Ce genre de comportement ne lui ressemblait pas vraiment, mais si son voyage s’était mal passé, elle pourrait être plus susceptible que d’habitude.

Il marcha jusqu’à la porte du bureau et toqua.

– Sheila, tu es là ? demanda-t-il.

De nouveau, il n'eut pas de réponse. Pendant un instant, Julian resta immobile, confus. Quelqu’un était-il vraiment entré dans la maison ? Il était certain de ne pas avoir imaginé les bruits, mais il n’y avait aucune valise en vue dans le couloir.

Г‰tait-il possible que Sheila ait traГ®nГ© ses valises dans le bureau, fermГ© la porte derriГЁre elle et refusait maintenant de lui parler ?

Ce serait absurde, évidemment. Il savait que c’était insensé, rien que de l’imaginer.

Secouant la tête de ses théories ridicules, il ouvrit la porte du bureau et y entra. En un coup d’œil, il vit que l’espace de travail de Sheila était aussi immaculé que d’habitude, un contraste total avec le désordre chaotique qui régnait dans son propre bureau à l’étage.

Elle est peut-ГЄtre montГ©e, pensa-t-il.

Sauf qu’il aurait forcément entendu de tels déplacements dans la maison. C’était beaucoup plus probable que son imagination lui ait joué des tours.

Soudain, il entendit un bruit derrière lui, dans le couloir juste devant le bureau. On aurait dit des pas rapides. Avant qu’il n’ait pu se retourner, il fut saisi par-derrière, comme pris dans un étau. Une main puissante mit un morceau de tissu mouillé sur sa bouche et son nez.

Grâce à sa formation médicale, Julian reconnut immédiatement l’odeur et le goût sucré.

Du chloroforme !

Son cerveau réagit vite, mais son corps n’avait pas encore été gagné par la panique. Il savait qu’il courait un grave danger, mais il ne réagissait pas.

Il se débattit brièvement, renversant sans vraiment s’en rendre compte la lampe de bureau.

En quelques instants, il perdit connaissance

.




CHAPITRE PREMIER


Riley Sweeney sentit une goutte de sueur sur son sourcil. Sa main trembla tandis qu’elle s’essuyait le visage avec un mouchoir. La salle d’audience paraissait soudain étouffante. Son cœur battait la chamade.

Le moment tant attendu Г©tait arrivГ©.

Son partenaire, l’agent spécial Jake Crivaro, s'apprêtait à témoigner au procès de Larry Mullins. Riley observa de l’autre côté de la salle la silhouette trapue de son coéquipier. Son visage tressaillait d’impatience.

Le rГ©sultat du procГЁs Г©tait incertain, mais elle sentait que le tГ©moignage de Crivaro pouvait tout faire basculer.

Cela faisait un an aujourd’hui qu’il était entré dans la vie de Riley et lui avait permis d’entrer dans le DSC, le Département des Sciences du Comportement. Une victoire judiciaire aujourd’hui serait un bon moyen de fêter l'événement.

Mais quelque chose semblait se tramer. Le procureur général s’était approché de l’avocat de Mullins et ils étaient en grande conversation.

Que se passe-t-il ? se demanda Riley.

Quoi qu’ils se disent, ça ne sentait pas bon.

Finalement, le procureur se tourna vers l’estrade et s’adressa au juge :

– Votre honneur, l’avocat de la défense et moi-même souhaiterions vous parler en privé.

Le juge Tobias Redstone se renfrogna.

D’un coup de maillet, il annonça :

– L’audience est brièvement suspendue le temps que je m’entretienne avec les deux parties.

Toute la salle se leva pendant que l’huissier et les avocats suivaient le Juge Redstone hors de la salle d’audience. Puis un murmure parcourut les jurés et les spectateurs qui se rassirent.

Entouré de gardes, Larry Mullins était toujours assis à la table des accusés. Même s’il avait les mains menottées, il était élégamment habillé d’un costume sur une chemise et une cravate, l’ensemble lui donnant une allure respectable.

Riley savait que son avocat avait fait des pieds et des mains pour que son client n’assiste pas à son procès dans une combinaison orange. Du coup, Mullins ne ressemblait pas à un criminel, il était apprêté, éloquent et avait l’air innocent. Cela semblait fonctionner. Riley sentait que le jury n’était pas convaincu de sa culpabilité.

Voilà pourquoi le témoignage de Crivaro était crucial. S’il y avait bien une personne qui pouvait convaincre le jury que Mullins n’était pas l’homme incompris qu’il prétendait être, c’était bien lui.

En attendant le retour du juge et des avocats, Riley se demanda s’il aurait vraiment l’occasion de témoigner.

Elle ressentit un violent frisson lorsque Mullins la regarda droit dans les yeux, un sourire suffisant s’affichant sur ses traits juvéniles. Puis elle l’observa se tourner vers Crivaro avec la même expression. Ce dernier serra les lèvres et un court instant, Riley eut peur que son partenaire ne traverse la salle pour se jeter sur Mullins.

Ne fais pas Г§a, pensa-t-elle.

Elle vit Crivaro se détourner et elle comprit qu’il avait du mal à maîtriser sa colère.

Riley espГ©rait seulement pouvoir contenir sa propre rage face Г  cette expression satisfaite.

Il y avait au moins quelques personnes dans cette salle qui connaissaient la vraie nature de Larry Mullins et qui savaient que c’était un monstre dans l’âme. Riley et Crivaro en faisaient partie. Les autres étaient les parents des deux victimes. Ils étaient assis ensemble et semblaient très inquiets. Ils avaient l’espoir commun de voir Mullins condamné à perpétuité sans remise de peine, ou même à la peine de mort.

AssurГ©ment, se dit-elle, le dossier Г©tait assez solide pour une condamnation. Elle refit le point dans sa tГЄte.

Larry Mullins exerçait en tant que nounou, ou « nounours », comme il préférait se faire appeler, lorsqu’il fut arrêté pour le meurtre d’Ian Harter, un jeune garçon sous sa garde. Riley et Crivaro avaient été envoyés pour enquêter sur la mort d’Ian. Ils avaient rapidement découvert qu’un autre enfant gardé par Mullins, Nathan Betts, était mort dans les mêmes circonstances dans une autre ville. Les deux garçons étaient morts étouffés, sans aucun doute assassinés.

Mullins avait plaidé non coupable aux deux accusations de meurtre, admettant seulement avoir laissé les deux garçons seuls au moment de leur mort et présentant un semblant de regrets pour sa négligence.

Riley n’avait pas cru une seule seconde que ces deux décès sous la garde de Mullins étaient des coïncidences et encore moins qu’un autre meurtrier inconnu soit encore en cavale. Mais prouver la culpabilité de Mullins sans laisser place au moindre doute était tout autre chose.

Dès le début, le procureur général, Paxton Murawski, avait averti Riley et Crivaro de la difficulté du dossier. Malgré leurs efforts, les agents et la police n’avaient découvert aucune preuve indiquant que Mullins était seul avec les enfants au moment de leur mort.

– Nous devons être prudents, ou ce bâtard va s’en sortir, avait dit Murawski à Riley et Crivaro.

Ni l’une ni l’autre n’avaient vraiment compris ce qu’entendait Murawski par « prudents ». Mais elle avait eu connaissance de tentatives de négociations en coulisses entre l’accusation et la défense. Elle suspectait que la salle allait bientôt en connaître le résultat.

Va-t-il ГЄtre libГ©rГ© finalementВ ? se demanda-t-elle.

Elle frissonna à cette éventualité, et en se rappelant le moment où Crivaro et elle avaient mis Mullins en état d’arrestation.

Lorsque Riley lui avait passé les menottes et lu ses droits, il avait tourné la tête et lui avait adressé un sourire diabolique. L’expression de son visage était en elle-même une confession.

– Bonne chance, avait-il dit, sachant pertinemment qu’il serait difficile de le faire condamner.

Riley serra les dents au souvenir de ces paroles.

Bonne chance !

Elle ne se souvenait pas avoir déjà été aussi furieuse qu’en cet instant. Elle avait eu tellement envie de tuer Mullins que sa main s’était approchée de son arme. Mais Crivaro lui avait mis la main sur l'épaule et lancé un regard d’avertissement, elle avait donc terminé l’arrestation dans les règles.

À présent, Riley se demandait si Larry Mullins serait encore en vie sans l’intervention de Crivaro. Évidemment, elle aurait été accusée de meurtre et aurait pu finir sa vie en prison. Mais cela aurait au moins permis de débarrasser le monde de cet être ignoble.

Riley regrettait presque de ne pas lui avoir tirГ© dessus.

Au vu de l’expression rageuse de Crivaro, elle devina que ce sentiment était partagé.

L’huissier réapparut et invita Mullins à les rejoindre dans le bureau du juge. Toujours entouré de gardes, l’accusé se leva et le suivit hors de la salle d’audience.

Le cЕ“ur de Riley se serra.

Г‡a ne prГ©sage rien de bon, pensa-t-elle.

De longues minutes s’écoulèrent avant le retour de l’huissier qui demanda à l’assemblée de se lever. Le juge Redstone entra, suivi des avocats et de Mullins.

– Les avocats de la défense et le procureur ont conclu un arrangement, annonça-t-il. Si l’accusé accepte de plaider coupable aux deux accusations de meurtre sans préméditation, ce procès ne sera plus nécessaire et l’accusé sera condamné à la peine correspondant à ces accusations.

Riley haleta, comme beaucoup d’autres dans la salle.

Meurtre sans prГ©mГ©ditation ?

Cette simple idée n’avait aucun sens pour elle.

Les yeux tournГ©s vers Mullins, le juge demanda :

– Larry Mullins, plaidez-vous ainsi ?

– Oui, Votre Honneur, dit Mullins.

– Très bien ! dit le juge Redstone. Larry Mullins, vous êtes par la présente condamné à deux peines de trente ans de prison, à effectuer simultanément, avec possibilité de libération conditionnelle dans quinze ans.

SimultanГ©ment ? PossibilitГ© de libГ©ration conditionnelle ?

Riley dut réfréner son impulsion de se lever et crier. Non, c’est impossible.

Elle savait que ça ne changerait rien, elle ravala donc ses mots et resta assise. Elle ne put s’empêcher de réfléchir à toute vitesse.

Cet homme a tuГ© deux enfants.

Pourquoi ne comprennent-ils pas cela ?

Le juge remercia le jury et mit fin au procès d’un dernier coup de maillet. La salle était en ébullition tandis que Mullins était escorté vers sa cellule. Lorsque Riley se leva de sa chaise, elle se retrouva au milieu d’une horde de gens énervés et perplexes.

La première chose qu’elle voulut faire était de parler à l’agent Crivaro pour lui demander son avis sur ce qu’il venait de se passer et s’ils pouvaient faire quelque chose. Mais elle n’aperçut son partenaire qu’un bref instant. Rouge de colère, il sortait de la salle d’audience.

OГ№ va-t-il ? se demanda-t-elle.

Elle ne pouvait pas le suivre à travers la foule. À la place, elle réussit à se frayer un chemin jusqu’à la table du procureur, où Paxton Murawski rassemblait ses affaires.

– Que s’est-il passé ? lança-t-elle amèrement.

Le procureur secoua la tГЄte.

– C’était notre meilleure option, dit-il.

– Mais ça n’a aucun sens, dit Riley. Mullins a clamé tout du long son innocence pour les deux meurtres. Il ne parlait que de négligence et maintenant, il plaide coupable aux deux accusations pour meurtre. Il ne peut pas à la fois avoir été négligent et les avoir tués ?

Murawski fusilla Riley du regard.

– Agent Sweeney, vous êtes nouvelle dans ce genre d’affaire, dit-il. Parfois, il faut faire des compromis et parfois, les résultats n’ont pas de sens. Honnêtement, cela s’est mieux terminé que prévu. Nous aurions déjà eu du mal à obtenir une condamnation pour meurtre avec préméditation, alors deux… Cela aurait été impossible, mais la défense savait que Mullins ne pourrait pas sortir indemne du procès. C’est pour cela qu’ils ont proposé un arrangement et nous l’avons accepté. Fin de l’histoire.

– « Fin de l’histoire ? » répéta Riley. Ce n’est pas la fin et vous le savez. Dans quinze ans, Mullins pourra être libéré sur parole. Il sera le même monstre qu’aujourd’hui. Mais il n’aura qu’à faire sa petite tête d’innocent devant la commission des libérations conditionnelles pour être de nouveau dans la nature.

Murawski ferma sa mallette et dit :

– Alors, faites-en sorte que ça n’arrive pas.

Riley n’en croyait pas ses oreilles.

– Mais ça n’arrivera pas avant quinze ans, dit-elle.

Murawski haussa les Г©paules et ajouta :

– Comme j’ai dit, faites-en sorte que ça n’arrive pas. Croyez-moi, il restera tranquille jusque-là.

Murawski se tourna pour partir, mais il eut un mouvement de recul en voyant un groupe de personnes approcher. Au lieu de se prГ©cipiter vers la sortie, il s'esquiva dans une autre direction. Riley comprit vite pourquoi.

Les quatre parents des deux victimes, Donald et Mélanie Betts ainsi que Ross et Darla Harter, se frayaient un chemin vers la table du procureur. En l’absence de Crivaro ou de Murawski et son équipe, Riley se doutait qu’elle ferait les frais de leur indignation.

MГ©lanie Betts laissait couler des larmes de fureur.

– On vous faisait confiance, dit-elle à Riley. À vous, votre partenaire et à la défense.

– Comment avez-vous pu nous lâcher comme ça ? ajouta Darla Harter.

Riley ouvrit la bouche, mais elle ne savait pas quoi dire.

Ironiquement, son premier instinct était de répéter à peu près les paroles de Murawski, qu'ils n’auraient pas réussi à avoir deux condamnations pour meurtre avec préméditation, que cet arrangement était mieux qu’il n’y paraissait et que Larry Mullins allait être en prison un long moment.

Mais ces mots n’arrivaient pas à sortir.

Elle dГ©clara simplement :

– Je suis désolée.

– Vous êtes désolée ? demanda Donald Betts incrédule.

– C’est tout ce que vous avez à dire ?

Riley Г©tait abasourdie.

Je dois dire quelque chose, pensa-t-elle.

Mais quoi ?

Puis elle se souvint des paroles de Murawski quelques instants plus tГґt Г  propos de la libГ©ration de Mullins.

« Faites-en sorte que ça n’arrive pas. »

Riley déglutit. Puis elle parla d’une voix pleine de conviction qui la surprit elle-même.

– Il ne sera pas libéré, dit-elle. Il purgera toute sa peine, les trente ans, s'il vit assez longtemps.

Mélanie Betts l’observa d’un air perplexe.

– Comment le savez-vous ? demanda-t-elle.

– Car je vais personnellement m’en assurer, dit Riley, la gorge serrée par l’émotion. Je ne le laisserai pas sortir en liberté conditionnelle.

Elle s'arrêta et réfléchit intensément aux mots qu’elle s'apprêtait à prononcer.

Puis elle dit :

– Je vous le promets.

Les quatre parents la fixèrent un moment. Riley se demanda s’ils arriveraient à la croire, surtout après ce qu’il venait de se passer durant l’audience. Elle ne leur avait rien promis jusqu’à maintenant, pas même que Mullins serait sévèrement puni par la loi. Elle n’était pas si bête.

Mais maintenant que c’était dit, elle se rendit compte qu’elle y croyait.

Elle ne savait pas ce que tenir sa promesse lui coГ»terait, mais elle la tiendrait.

Au bout d’un moment, Donald Betts acquiesça. Tout en guidant sa femme et l’autre couple vers la sortie, il regarda Riley et articula en silence.

– Merci

Riley acquiesça en retour.

La salle d’audience était beaucoup moins encombrée à présent, Riley put donc se diriger vers le couloir. Des journalistes entouraient Murawski ainsi que les avocats de Mullins et les assommaient de questions. Riley était soulagée que les journalistes ne la remarquent pas.

En regardant autour d’elle, elle se demanda où était passé son coéquipier. Elle ne l’avait vu nulle part dans le bâtiment et il n’y avait aucune trace de lui devant le tribunal.

OГ№ peut-il bien ГЄtre ? se demanda-t-elle.

Elle marcha jusqu’au parking où ils avaient garé le véhicule du DSC. Elle avait son propre jeu de clés, elle put donc ouvrir la portière, s'installer au volant et attendre.

Il va sГ»rement bientГґt revenir, pensa-t-elle.

De longues minutes passèrent et elle commença à s’interroger.

Elle savait que Jake avait trГЁs mal pris le verdict.

Il ne veut peut-être pas m’affronter, pensa-t-elle.

Elle essaya de l’appeler, mais il ne répondit pas. Elle ne voulait pas alerter le DSC de la disparition de son partenaire. Crivaro reviendrait lorsqu’il sera prêt. Riley resta assise à attendre pendant une heure avant de se décider à partir. Elle quitta le parking et prit seule la route de retour pour Quantico.




CHAPITRE DEUX


Julian Banfield avait l’impression de se réveiller d’un terrible cauchemar.

Ou de ne pas me rГ©veiller du tout, pensa-t-il.

Il Г©tait Г  peine conscient et toujours dГ©sorientГ©. Son crГўne lui faisait un mal de chien.

Il ouvrit les yeux ou s’imagina les avoir ouverts puisqu’il était dans le noir complet. En essayant de bouger, il se rendit compte qu’il n’y arrivait pas. Il savait que ce genre de paralysie était un symptôme normal de ses cauchemars, sûrement dû au poids des couvertures au-dessus de lui.

Mais il y a autre chose, rГ©alisa-t-il.

Même si ses membres étaient coincés, il n’était pas allongé.

Respire, se dit-il, comme il le faisait si souvent avec ses patients. Doucement, inspire et expire.

Mais plus il se rendait compte de la situation, moins il arrivait à garder son calme. Il était attaché en position assise, dans l’obscurité totale. Malgré plusieurs respirations profondes, le calme qu’il essayait de s’imposer lui échappait.

RГ©flГ©chis, se dit-il. Quelle est la derniГЁre chose dont je me souvienne ?

La mémoire lui revint. Il cherchait Sheila dans son bureau lorsque quelqu'un l’avait attrapé par-derrière et forcé à respirer à travers un morceau de tissu imbibé d’un liquide épais et sucré.

Du chloroforme, se souvint-il, son esprit commençant à céder à la panique.

Puis Julian entendit une voix douce émanant de l’obscurité.

– Bonjour, Dr Banfield.

– Qui est là ? haleta Julian.

– Vous ne reconnaissez pas ma voix ? Ce n’est pas vraiment surprenant. Cela fait bien longtemps. J’étais beaucoup plus jeune. Ma voix a changé.

D’un coup, la lumière s’alluma et Julian fut momentanément aveuglé.

– Voilà, dit la voix. C’est mieux ?

Julian plissa les yeux en essayant de s’adapter à la lumière. Un visage apparut, un homme souriant au visage long et fin.

– Vous devriez me reconnaître maintenant, dit-il

Julian le fixa. La forme de son menton lui paraissait vaguement familière, mais il ne se rappelait rien d’autre. Il ne le reconnaissait pas et en vérité, ce n’était pas sa priorité en cet instant précis. Il commençait seulement à réaliser la situation et de ce qu’il voyait, il était en très, très mauvaise posture.

Son agresseur et lui étaient dans la cave à vin de Julian, entourés d’étagères remplies de centaines de bouteilles de vin. Julian était ligoté ou attaché sur l’une des imposantes chaises qui faisaient partie de la décoration de la pièce.

Un inconnu le fixait en souriant, assis sur une autre chaise.

L’homme tenait un verre et une bouteille à peine entamée.

En se versant du vin, il dГ©clara :

– J’espère que ça ne vous dérange pas. J’ai pris la liberté d’ouvrir une bouteille de vieux Donjon Châteauneuf-du-Pape datant de quelques années. Je suppose que c’était un peu présomptueux de ma part. Après tout, vous le conserviez peut-être pour plus tard. J’ai entendu dire que ce cru était censé se bonifier avec le temps.

Il exposa le verre à la lumière et l’inspecta religieusement.

– J’étais tenté d’ouvrir un Opus One de 1987, mais cela aurait été bien trop pour moi. De plus, je suis très curieux de connaître ce cru.

L’inconnu but une gorgée et la fit tourner dans sa bouche.

– Il est fidèle à sa réputation, dit-il. Des notes de baies de Genièvre, de mûres, de raisins, de noisettes grillées. Un large panel de saveurs osées et riches. Je ne suis pas un expert, mais je dirais que vous en avez eu pour votre argent.

Julian Г©tait toujours perdu et confus.

Ne cris pas, se dit-il. Personne ne pouvait l’entendre et ça ne ferait qu’aggraver les choses. Il valait mieux essayer d’utiliser ses compétences de psychologue. Il fallait, par-dessus tout, rester calme ou du moins paraître calme.

– Eh bien, dit-il, maintenant que nous sommes là, vous souhaiteriez peut-être m’en dire un peu plus sur vous.

L’inconnu s'esclaffa.

– Que voulez-vous savoir Docteur ? demanda-t-il.

– Il y a forcément des choses que vous pouvez me dire sur ce qui… mmmh… a entraîné cette situation.

L’inconnu laissa échapper un son rauque qui n’était pas vraiment un rire.

– J’ai bien peur que ce soit une histoire longue et compliquée, répondit-il. Sur ces mots, il se leva brusquement et jeta le verre à pied qui explosa contre le mur. Puis il posa la bouteille de vin sur une petite table décorative.

Se rendant bien compte que son approche professionnelle n’allait pas fonctionner, Julian essaya une autre tactique.

– Ma femme sera bientôt là, lâcha-t-il.

L’inconnu ne semblait pas affecté.

– Vraiment ? Alors, il est temps que je me mette au travail.

– Mais bordel qui êtes-vous ? s’insurgea Julian qui commençait à paniquer.

Une expression peinée traversa le visage de l’inconnu.

– Oh. J’espérais que vous auriez fini par me reconnaître. Tant pis, j’ai été trop exigeant, mais ça va vite vous revenir. J’ai un moyen infaillible de raviver vos souvenirs.

De nouveau, Julian pensa reconnaître certains traits vaguement familiers du menton de l’homme. Mais il était certain de ne pas se souvenir de lui. La seule chose dont il était sûr, c’est qu’il était prisonnier, piégé dans sa propre cave à vin, à la merci d’un homme déséquilibré.

Il ne savait pas comment il avait été attaché, mais c’était extrêmement inconfortable. Il réalisa seulement à cet instant que ses pieds étaient nus et mouillés.

Il baissa les yeux. Même si ses genoux étaient attachés ensemble, il pouvait voir l’un de ses grands plateaux en argent posé au sol. Quant à ses pieds, ils trempaient dans un fond d’eau.

– Ah oui, commenta l’inconnu. J’ai descendu ce magnifique plateau en argent de votre placard à vaisselle. C’est l’idéal. Il peut contenir presque un centimètre d’eau, et l’eau et l’argent sont d'excellents conducteurs.

Excellents conducteurs ? se demanda Julian.

Ses yeux fouillèrent la pièce, essayant de repérer les moindres détails de ce qu’il se passait. Il remarqua que l’inconnu portait une paire de bottes avec des semelles en caoutchouc.

Puis l’inconnu commença à enfiler une paire de gros gants, eux aussi en caoutchouc.

Mais qu’est-ce que… ? De nouveau Julian s’efforça de ne pas crier.

L’homme sortit du champ de vision de Julian un moment. Après quelques claquements venant du tableau électrique de la cave, l’inconnu réapparut avec un gros câble de chantier à la main. Le câble avait été découpé pour en exposer les fils.

Julian sentit son corps sombrer dans la terreur.

L’inconnu s’approcha de Julian et le regarda droit dans les yeux.

– Vous êtes bien sûr de ne pas me reconnaître, Dr Banfield ? demanda-t-il sans perdre son sourire.

Julian fixa le visage de l’inconnu, remarquant de nouveau les traits familiers de son menton. Il réfléchit, essayant de replacer ce visage, alors qu’une montagne de pensées lui traversaient l’esprit.

Électricité… électrodes… conducteur…

D’un coup, la vérité lui sauta aux yeux. Il n’arrivait pas à se souvenir de son nom, mais son visage lui revenait, même après tant d’années.

– Si ! murmura-t-il, surpris. Si, je sais qui vous êtes !

– C’est bien ! dit l’inconnu. Je savais que ça vous rafraîchirait la mémoire

Le cЕ“ur de Julian battait violemment.

– Ma femme sera bientôt de retour, dit-il de nouveau.

– Oui, sûrement, répondit l'inconnu. Et elle aura une belle surprise !

Il laissa tomber mГ©thodiquement le cГўble sur le plateau et Julian hurla tandis que son esprit explosait.




CHAPITRE TROIS


Riley serrait le téléphone sans fil dans sa main, tout en faisant les cent pas dans l’appartement en sous-sol qu’elle partageait avec son fiancé Ryan Paige. Elle essayait de joindre l’agent Crivaro.

Et une fois de plus, il ne dГ©crochait pas. Г‡a ne faisait que sonner encore et encore.

Je n’ai même pas accès à son répondeur, remarqua-t-elle.

– Toujours injoignable ? demanda Ryan.

Elle ne s’était pas rendu compte qu’il l’observait. Il était assis à la table de la cuisine examinant des dossiers qu’il avait ramenés de Parsons & Rittenhouse, le cabinet d’avocat où il exerçait en tant que collaborateur.

– Oui, répondit Riley. J’ai l’impression de perdre la tête. Je devrais peut-être retourner à Quantico et…

Ryan l’interrompit doucement :

– Non, Riley. Qu’est-ce que ça apporterait de plus ?

Elle souffla. Il avait évidemment raison. Après le procès et la disparition de Crivaro, elle avait ramené la voiture du FBI à Quantico en espérant le trouver au quartier général du DSC, mais il n’y était pas. L’agent spécial en chef Erik Lehl avait terminé sa journée, sûrement aussi joyeuse que la leur. Si Crivaro n’était pas rentré, Riley ne voulait pas être celle qui annoncerait à Lehl la disparition de son partenaire.

Ryan demanda :

– Combien de fois as-tu essayé d’appeler Crivaro ?

– Je ne sais plus.

Ryan eut un sourire compatissant.

– Souviens-toi de la définition de la folie, selon Einstein, dit-il.

Riley haussa les Г©paules.

– Oui, oui… faire la même chose encore et encore en espérant un résultat différent.

Elle arrêta de faire les cent pas et s’effondra sur le canapé du salon.

– Peut-être que cette histoire me fait perdre la raison, dit-elle.

Ryan se leva de sa chaise et se dirigea vers le placard de la cuisine pour prendre une bouteille de bourbon et deux verres.

– Ça m'embêterait de devoir te faire interner, dit-il. Peut-être qu’un bon verre sera la solution pour te faire retrouver la raison.

Riley rit d’un air résigné.

– Ça ne peut pas me faire de mal, dit-elle.

Ryan remplit deux verres et s’assit sur le canapé près d’elle. Il passa son bras autour de ses épaules.

– Tu veux en parler ? demanda-t-il.

Riley soupira. Ils avaient énormément parlé du procès depuis son retour du travail plusieurs heures auparavant et ils avaient continué à en discuter pendant le dîner. Ryan savait à quel point le verdict l’avait bouleversée. Et bien sûr, ils avaient aussi parlé de la disparition mystérieuse de Crivaro.

– Je ne sais pas quoi dire d’autre, dit-elle en posant sa tête sur l’épaule de Ryan.

– J’aurais peut-être une idée, dit-il. Tu pourrais répondre à quelques questions pour moi.

Riley se rapprocha de lui et dit :

– Oui, essayons ça.

Il prit une gorgГ©e de bourbon et demanda :

– Pourquoi exactement es-tu inquiète pour l’agent Crivaro ?

– Parce qu’il est parti sans prévenir.

– Tu penses qu’il est en danger ?

– Crivaro ? ricana Riley. Non, je ne pense pas. C’est un dur à cuire. Il sait se défendre.

– As-tu peur qu’il soit en colère contre toi ? demanda Ryan.

Elle eu un sursaut de surprise. C’était une très bonne question. Elle leva sa tête de l’épaule de Ryan et prit une gorgée de bourbon. Le goût la réconforta.

– Je… ne vois pas pourquoi il le serait, dit-elle.

– Donc que se passe-t-il, selon toi ? demanda Ryan.

Elle se souvint de son expression furieuse lorsqu'il était sorti en trombe de la salle d’audience.

– Il s’en veut, répondit-elle. Il a l’impression d’avoir échoué.

– Riley, je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi vous êtes si déçus par le verdict. Trente ans, c’est une lourde peine. Mullins devra attendre quinze ans avant une possible libération. Ça me semble assez sévère.

Riley eut un flash de sa confrontation avec les parents des victimes.

Elle se souvint de sa promesse.

В« Je ne le laisserai jamais sortir sous libertГ© conditionnelle.В В»

Elle ne pouvait s'empГЄcher de se demander si elle tiendrait vГ©ritablement sa promesse.

– Nous voulions plus. Les familles des victimes s’attendaient à plus. Mais…

Sa voix se serra.

– Mais quoi ? demanda Ryan.

Riley le bouscula gentiment.

– Tu parles comme un psy, dit-elle

– Mais non, dit-il. Je parle comme un avocat.

– Donc tu m’interroges ? répondit Riley.

– Exactement.

– Alors j’ai une objection. Tes questions sont beaucoup trop orientées.

– Plains-toi au juge, dit Ryan.

– Quel juge ? demanda Riley.

Ils rirent et se rapprochГЁrent.

Puis Ryan demanda prudemment :

– Et toi Riley ? Es-tu heureuse ?

Elle sentit une chaleur l’envahir.

– Oh que oui, fit-elle.

– Pas simplement dans ton travail, dit Ryan.

– Je sais. Je suis vraiment heureuse, dans tous les aspects de ma vie.

Elle le pensait du fond de son cЕ“ur.

Ryan et elle avaient eu des difficultГ©s au dГ©but de leur relation. Ils leur Г©taient mГЄme arrivГ©s de penser que leur couple ne survivrait pas Г  long terme. Le nouveau travail de Ryan lui avait mis une pression Г©norme et la cadence des affaires de Riley Г©tait effrГ©nГ©e. Elle avait passГ© beaucoup trop de temps loin de lui.

Cependant, Ryan était maintenant dans une position plus confortable au cabinet, lui offrant ainsi davantage de flexibilité. Et les dossiers de Riley s'étaient également considérablement réduits. Crivaro et elle n’avaient pas eu à aller sur le terrain depuis plus de six semaines, depuis cette affaire de tueur en série qui ciblait des femmes vierges dans le Kentucky et le Tennessee.

Depuis ce jour, ils avaient principalement travaillé depuis les bureaux de Quantico, pour faire des recherches et informer les agents sur le terrain. Riley trouvait ces moments un peu ennuyant. Pourtant, elle devait admettre qu’elle était soulagée d’être proche de chez elle et loin du danger.

C’était aussi un soulagement pour Ryan. Il semblait enfin s’habituer à l’idée qu’elle fasse partie du DSC. Du moins, il n’essayait plus de la persuader de démissionner et ils ne s’étaient plus disputés depuis des semaines.

Riley espГ©rait garder cette cadence de travail, plus facile Г  vivre et moins dangereuse. Elle Г©tait certaine que si elle passait plus de temps Г  la maison, les choses iraient mieux dans leur couple.

C’est dans ce genre de moment qu’elle appréciait le caractère attentionné et bienveillant de son fiancé.

Il est pas mal non plus, pensa-t-elle, en le regardant.

Puis il demanda :

– Tu veux continuer à parler ?

– Non, non, répondit Riley.

– Que veux-tu faire ?

Riley amena son visage vers elle et l’embrassa.

– Je veux aller au lit.


*

Le lendemain matin, sur le chemin de Quantico, la journée de Riley paraissait aussi belle et ensoleillée que son humeur. Sa séance de câlins avec Ryan la veille avait été passionnée, parfaite. Maintenant ils étaient tous les deux en route vers un travail qu’ils appréciaient.

Elle n’est pas belle la vie ? se demanda-t-elle.

En y repensant, elle pourrait être encore mieux. En fait, c’était même sûr. Dans un futur proche, Ryan et elle se marieraient et lorsqu’ils seraient prêts, ils fonderaient une famille.

Pour ce qui était de l’Agent Crivaro, Riley était persuadé qu’il se sentirait mieux aujourd’hui.

Hier n’était qu’un mauvais moment à passer, pensa-t-elle.

En se garant à sa place au DSC, son cœur bondit de joie à la vue de Crivaro debout près de sa voiture. Il l’attendait, comme il le faisait souvent.

Tout est revenu Г  la normale !

Elle gara sa voiture et en sortit.

Pas de cГўlins, se dit-elle. Г‡a ne lui plairait pas.

Son humeur s’assombrit en s’approchant de lui. Ses bras étaient croisés et il fixait le bitume, comme s’il ne l’avait pas vu arriver.

Décidément pas d’humeur câline, réalisa-t-elle.

Peu importe ce qu’il avait à lui dire, elle sentait que ça n’allait pas lui plaire.




CHAPITRE QUATRE


Tandis que Riley s’approchait, il levait à peine les yeux. Il était appuyé contre sa voiture et fixait le sol.

– Excuse-moi pour hier. Je me suis comporté comme un con, déclara-t-il

Riley voulut le contredire, lui assurer que ce n’était pas vrai, mais les mots refusaient de sortir.

Je dois quand mГЄme lui en vouloir un peu, rГ©alisa-t-elle.

Cette possibilité ne lui avait pas effleuré l’esprit jusqu’à maintenant.

Se plaçant près de lui, elle s’appuya à son tour contre la voiture.

– Pourquoi m’avez-vous évité comme ça ? demanda-t-elle.

Crivaro haussa les Г©paules.

– Je ne t’ai pas évitée, dit-il. Du moins, je ne pense pas. C’était plutôt…

Il se tut un instant.

Puis il dГ©clara, la voix serrГ©e :

– Je ne pouvais pas affronter les parents. Je n’y serais pas arrivé. Pas après les avoir laissés tomber de cette façon. Il fallait que… je devais m’en aller.

Riley était étonnée. Elle avait cru qu’il ne voulait pas lui parler à elle. En y repensant, son hypothèse était très égocentrique.

– Tu leur as parlé ? demanda-t-il à Riley.

Elle acquiesça.

– Comment ça s’est passé ?

Riley prit une grande inspiration.

– À peu près comme vous l’imaginez, répondit-elle.

– Si mal que ça ?

Riley acquiesça et ajouta :

– Ils étaient en colère contre la décision du juge. Et oui, ils nous en voulaient à nous aussi.

– Je ne leur en veux pas, dit Crivaro. Que leur as-tu dit ?

– Je leur ai présenté mes excuses et…

Riley hésita un instant. Elle avait soudain du mal à répéter ce qu’elle avait dit aux deux couples.

Enfin elle dГ©clara :

– J’ai promis… de faire en sorte que Mullins ne sorte pas de prison avant d’avoir purgé toute sa peine. Je leur ai dit que je ne le laisserai pas bénéficier d’une remise de peine ou d’une libération conditionnelle.

Crivaro acquiesça doucement.

Г‰touffant un soupir, Riley dit :

– J’espère ne pas avoir fait de promesse que je ne pourrai jamais tenir.

Elle espérait qu’il répondrait par un encouragement, mais il resta silencieux.

– Alors, que se passe-t-il ? demanda-t-elle impatiemment.

– Je voulais te l’annoncer moi-même, dit Crivaro, la voix serrée par l’émotion. Je ne voulais pas que tu l’apprennes par quelqu'un d’autre.

Riley ressentit une vague d'appréhension. Elle attendit en silence qu’il poursuive.

– Je démissionne, lui annonça Crivaro.

– Vous ne pouvez pas faire ça, laissa-t-elle échapper.

– C’est déjà fait.

Elle cherchait ses mots.

– Vous disiez que vous resteriez si j’intégrais le DSC…

– Juste pour t’aider à démarrer, finit-il à sa place. C’était il y a presque un an, Riley. Je t’avais prévenu que je pouvais prétendre à une retraite anticipée.

– Vous ne pouvez pas attendre… ?

– Non, ma décision est prise. Je sors tout juste du bureau d’Erik Lehl. J’ai rendu mon badge et mon arme et j’ai signé et donné ma lettre démission.

– Pourquoi ? demanda-t-elle simplement.

Crivaro laissa Г©chapper un grognement.

– Tu le sais très bien, Riley. Peux-tu honnêtement dire que je suis au top de ma forme ces derniers temps ? Je ne redeviendrais jamais l’agent que j’étais. J’ai dépassé ma date d’expiration. Il m’a même fallu des autorisations spéciales pour rester aussi longtemps en fonction.

Le silence tomba entre eux. Ils restèrent là un long moment, sans s’adresser un regard.

Enfin, Crivaro dГ©clara :

– Tout ça m’est tombé dessus après le verdict. C’était une chose de ne pas obtenir une sentence plus sévère pour Mullins. Mais j’étais incapable de parler aux parents. Je n’avais jamais ressenti ça, je n’avais jamais esquivé cette partie du boulot. À cet instant, j’ai su que c’était terminé. Comment puis-je continuer à pourchasser les criminels si je ne peux plus affronter leurs victimes ? C’est pour ça que je me suis sauvé.

– Je vais parler à Lehl, marmonna Riley.

À peine ces mots prononcés, elle se demanda si elle y croyait vraiment. Allait-elle vraiment essayer de convaincre l’agent spécial en chef Erik Lehl d’ignorer la démission de Crivaro ? Pensait-elle vraiment réussir ?

– Tu devrais le faire, lui dit Crivaro. D’ailleurs, Lehl veut te parler. Il m’a dit que tu devais aller le voir dès ton arrivée. Je pense qu’il a une affaire pour toi.

La bouche de Riley s’ouvrit, mais aucun son n’en sortit.

Comment pouvait-elle exprimer ce qu’elle ressentait ?

– Agent Crivaro, je… je ne crois pas être prête, balbutia-t-elle enfin.

– C’est vrai, dit Crivaro. Tu n’es pas prête.

Riley regarda son partenaire avec surprise.

– Écoute, dit Crivaro. Personne n’est parfait lors de ses débuts en solo. Tu dois seulement te préparer. Tu es l’agent la plus talentueuse avec laquelle j’ai travaillé. Tes instincts sont aussi bons que les miens et c’est peu dire. Personne ne peut entrer dans la tête d’un tueur aussi bien que nous. Il faut que tu développes les compétences qui vont avec tes capacités. Mais je te retiens. Tu te reposes trop sur moi. Tu dois apprendre à te faire confiance. Et je n’aurais jamais cru dire ça à propos d’un partenaire mais…

Il rit doucement.

– On s’entend trop bien.

Riley ne put s'empГЄcher de rire Г  son tour.

– Vous rigolez, pas vrai ? dit-elle.

– Je sais que ça semble fou, mais c’est vrai, dit Crivaro. Je ne sais pas ce qu’il te faut pour avancer, mais ce n’est pas moi. Tu devrais peut-être aller enquêter sur quelques affaires en solo. Dieu sait que ça m’est souvent arrivé. Ou alors, tu dois bosser avec quelqu’un qui sera très dur à apprécier.

Secouant la tГЄte, Riley dit :

– C’est ce qu’il s’est passé avec vous.

– Peut-être au début, mais plus maintenant. Tu es la seule de mes partenaires à m’avoir supporté. Je suis un vieux con grincheux et tu le sais

Riley sourit un peu.

Je ne peux pas le contredire lГ -dessus, pensa-t-elle.

Un nouveau silence s'abattit entre eux.

Riley repensa aux affaires sur lesquelles ils avaient travaillé ensemble, surtout celle en Arizona, où Crivaro et elle s’étaient fait passer pour un père et sa fille. Cela avait été plus qu’une simple couverture, du moins pour elle.

Maintenant, elle se demandait si elle devait lui avouer qu’il avait été plus un père pour elle que son père biologique.

Non, Г§a va me faire pleurer, pensa-t-elle. Et Г§a le ferait vraiment chier.

– Qu’allez-vous faire ? demanda-t-elle à la place.

Crivaro rit de nouveau.

– Ça s’appelle la retraite Riley. Que font les retraités ? Je commencerai peut-être à jouer au Bridge, si je trouve un partenaire, ce qui me semble compromis. J’irai peut-être faire une croisière dans les Caraïbes. Ou jouer au golf. Ou faire du bénévolat. Ou m'impliquer dans le cinéma local. Ou alors je rejoindrai un club de tricot.

Riley rit à l’image de Crivaro tricotant une couverture, entouré de femmes de son âge.

– Vous n’êtes pas sérieux, dit-elle.

– Non, mais j’en ai peut-être marre d’être sérieux. Peut-être que j’aime l’idée de ne pas savoir quoi faire du reste de ma vie. Quoi qu’il en soit, ce sera une aventure.

Riley détecta une certaine incertitude lorsqu’il prononça le mot « aventure. »

Il n’est pas sûr de lui, pensa-t-elle.

Il essaie de se convaincre.

Mais avait-elle le droit d’orienter sa décision ?

Crivaro regarda sa montre et lui dГ©signa le bГўtiment.

– Tu devrais y aller, dit-il. Tu ne voudrais pas que Lehl s’impatiente.

Il posa une main réconfortante sur l’épaule de Riley.

– Je ne vais pas disparaître gamine. Tu entendras sûrement plus parler de moi que tu ne le souhaites.

– J’en doute, Agent Crivaro, dit Riley.

Il agita son index.

– Hé, je suis à la retraite, non ? Plus d’« Agent Crivaro » qui tienne. Il est temps pour toi de m’appeler Jake.

Riley sentit sa gorge se serrer.

– D’accord… Jake, dit-elle doucement.

En ouvrant la porte de sa voiture, il parla de nouveau :

– Allez, vas-y, va bosser.

Alors que Riley commençait à avancer, la voix de Crivaro la fit se retourner.

– Cette promesse que tu as faite après l’audience hier… tu as bien fait et j’aurais aimé l’avoir fait. Je sais que ça t'inquiète, mais tu tiendras parole.



J’en suis sûr. Et tu sais quoi ? Si je suis encore en vie, je ferai tout mon possible pour t’aider.

Crivaro dГ©marra sa voiture et sortit de sa place.

Riley l’observa s’en aller, toujours déterminée à ne pas pleurer.

Puis elle se dirigea vers l’immeuble du DSC pour parler à Lehl.




CHAPITRE CINQ


Même si le bâtiment du DSC fourmillait autant que d’habitude, l’endroit semblait étrangement vide pour Riley. Elle était plus que consciente de l’absence de Jake Crivaro. Était-ce vraiment possible que son mentor ne remette jamais les pieds ici ? Comment les autres pouvaient-ils continuer à vaquer à leurs occupations comme si de rien n’était alors qu’il ne reviendrait pas.

Évidemment, réalisa-t-elle, personne d’autre ne savait que Crivaro avait démissionné.

Elle devait aussi admettre que même s’ils le savaient, la nouvelle ne les affecterait pas autant qu’elle. Même si Jake Crivaro était une sorte de légende du DSC, tout le monde savait que même les légendes finissent par s’arrêter.

Tout le monde sauf moi, pensa-t-elle.

Elle s’arrêta dans le couloir, incertaine sur la marche à suivre. Elle ne pouvait plus aller au bureau de son coéquipier pour recevoir ses consignes, comme à son habitude. Puis elle se souvint des paroles de Crivaro. Lehl l’attendait, sans doute pour lui assigner une nouvelle affaire.

Alors qu’elle se dirigeait vers l’ascenseur, elle se souvint du moment où Crivaro était apparu dans sa vie. À l’époque, elle était étudiante à l’université de Lanton. Après le meurtre de deux de ses camarades, Crivaro était arrivé pour mener l’enquête. Alors que Riley était terrifiée et se sentait inutile, il avait repéré ses instincts et l’avait mise à contribution pour aider à trouver le tueur.

Elle l’avait effectivement trouvé. Il s’était avéré que c’était l’un de ses professeurs préférés. Il l’aurait d’ailleurs également tuée si Crivaro ne lui avait pas sauvé la vie.

Depuis ce jour, le monde de Riley avait été chamboulé. Après l’université, Crivaro lui avait obtenu une place au programme d’été du FBI, puis à l’académie de Quantico. En dehors de ces dernières semaines, très calmes, sa vie n’était qu’une succession d’adrénaline et de danger.

Elle entra dans l’ascenseur et appuya sur l’étage de sa destination. La cabine était bondée, ce qui renforça la solitude de Riley.

Personne ne sait ce qu’il s’est passé, pensa-t-elle de nouveau. Et moi je ne sais pas ce qu’il va advenir de moi.

Une partie d’elle avait la folle intention de rendre son badge et son arme pour protester contre le départ de Crivaro.

Ce serait absurde, Г©videmment, se sermonna-t-elle. Riley ne pouvait pas tout abandonner maintenant, elle avait trop donnГ© pour cette carriГЁre.

Pourtant, elle se souvint des mots de Crivaro, lorsqu’elle lui avait annoncé son intention de parler à Lehl de sa décision.

В« Tu devrais le faire. В»

Que voulait-il dire ? Espérait-il qu’elle l'empêche de prendre sa retraite ?

Elle se souvint aussi d’une autre chose qu’il lui avait dit.

« Il est temps pour toi de m’appeler Jake. »

Il ne donnait pas l'impression d’une personne qui souhaitait couper les ponts, aussi bien professionnellement que personnellement. Elle réalisait l’importance de cette décision. Après tout, qui d’autre au monde l’appelait juste « Jake » ? Il n’avait plus de contact avec son ex-femme ou son fils et à sa connaissance, il n’avait aucun ami.

De ce qu’elle savait de lui, c’était un homme solitaire et la retraite n’allait pas arranger ça.

Elle sortit de l’ascenseur et se dirigea vers le bureau de Lehl. La porte était ouverte à son arrivée. Pourtant, elle hésita une fois devant.

Puis, comme s’il avait senti sa présence, il s’adressa à elle :

– Entrez, agent Sweeney.

Elle entra et trouva l’agent spécial en chef debout derrière son bureau. Comme d’habitude, il paraissait trop grand pour la pièce et encore plus pour son bureau.

Elle ne put s'empêcher de sourire en se souvenant de la réponse de Crivaro lorsqu’elle lui avait fait remarquer que Lehl était monté sur des échasses.

« Non, on dirait qu’il est fait d’échasses. »

– Asseyez-vous, agent Sweeney, dit Lehl de sa voix intimidante de baryton.

Riley s’assit et Lehl l’imita. Il décrocha le téléphone et demanda à quelqu’un de les rejoindre immédiatement. Puis, croisant ses mains, il regarda Riley et demanda :

– Y a-t-il un sujet que vous souhaiteriez aborder ?

Riley dГ©glutit difficilement.

C’est maintenant ou jamais.

Mais arriverait-elle Г  contester le dГ©part de son partenaire ?

Après tout, Erik Lehl était sans doute le seul homme au monde capable d’intimider Jake Crivaro.

Malgré cela, elle se força à parler :

– Monsieur, je voudrais parler de l’Agent Crivaro.

Lehl acquiesça silencieusement.

Riley dГ©glutit de nouveau.

– Je ne pense pas qu’il devrait prendre sa retraite, Monsieur, dit-elle.

Lehl acquiesça une nouvelle fois.

– Il m’a prévenu que vous diriez cela, répondit-il.

Riley était étonnée. Elle ne s’attendait pas à ça. Apparemment Jake et Lehl avaient déjà discuté de sa réaction.

– Pourriez-vous m’expliquer votre raisonnement ? demanda Lehl.

Riley paniqua et voulut s’enfuir en courant. Quel genre de réponse pouvait-elle bien donner ?

– Il pense que ses capacités se détériorent, Monsieur, répondit Riley.

– Et vous n’êtes pas d’accord ? demanda Lehl.

– Non, Monsieur.

– Et vous êtes certaine de savoir ce qui est le mieux pour lui ? demanda Lehl.

Riley ne savait plus quoi dire. La question était légitime. Était-elle sûre que Jake était à son maximum ? Ses paroles lui revinrent à l’esprit.

В« Peux-tu honnГЄtement dire que je suis au top de ma forme ces derniers temps ? В»

Elle ne l’avait pas contredit. Avait-elle vraiment changé d’avis depuis ?

Lehl la scruta d’une manière qui lui donnait l’impression d’être analysée.

– Ce que je veux savoir c’est… de qui vient cette affirmation ? Vous ou l’Agent Crivaro ?

Riley s’enfonça dans sa chaise.

– Je n’en suis pas sûre, admit-elle.

Lehl se pencha vers elle.

– Agent Sweeney, vous et moi avons eu quelques différends depuis notre première rencontre.

– Je sais, dit Riley.

C’était peu dire. L’automne dernier, alors qu’elle était encore à l’Académie, Crivaro l’avait éloigné de ses études pour les besoins d’une affaire. Sans aucune approbation de sa hiérarchie, elle s’était fait passer pour une journaliste et avait interrogé un sénateur. Ses questions avaient fait remonter à la surface d’anciens scandales sexuels. Elle suivait son instinct comme à son habitude, mais les affaires du sénateur s’étaient révélées complètement étrangères à l’enquête.

Sans vraiment le vouloir, elle avait détruit la carrière politique du sénateur. Pire, l’incident avait pas mal secoué le DSC. Le sénateur faisait partie de plusieurs grands comités et avait beaucoup d’influence sur le budget alloué au DSC.

Lehl avait été plus que furieux. Il s’était personnellement assuré que Riley soit renvoyée de l'Académie. Ce n’est qu’une fois l’affaire résolue avec brio en compagnie de Jake qu’il l’avait réintégrée. Il se méfiait d’elle depuis qu’elle avait été diplômée et qu’elle avait rejoint le DSC.

Puis Lehl lui demanda :

– Que comptez-vous faire… vis-à-vis du Département ?

– Je ne suis pas sûre de comprendre, répondit-elle.

Riley avait peur d’avoir très bien compris. Elle savait que sa place au sein du DSC était quelque peu fragile. Lehl trouvait sûrement que c’était le bon moment pour se débarrasser d’elle.

L’expression de son visage n’augurait rien de bon.

– Je vais être honnête, agent Sweeney, dit Lehl. Votre duo avec Crivaro a toujours été très productif, voire remarquable. Néanmoins, j’ai toujours senti que vous aviez tendance à… comment dire ? Avoir une mauvaise influence l’un sur l’autre. J’ai travaillé avec Crivaro durant des années et malgré son talent, il a toujours été un peu marginal. Il nous a donné, à l’agence et à moi, pas mal de fil à retordre. Il essayait toujours de s'affranchir des règles, quitte à les briser. Vous ne pouvez pas nier que vous avez les mêmes tendances, non ?

Riley n’osa pas mentir.

– Non, dit-elle.

Lehl tapota sur son bureau.

– Je veux que vous répondiez à la prochaine question aussi honnêtement que possible. Vos tendances rebelles, étaient-elles liées à Crivaro, oui ou non ? Suis-je en droit de penser que votre comportement va changer maintenant qu’il est parti ? Ou bien… ?

Il laissa sa phrase en suspens.

Mais Riley savait parfaitement ce qu’il lui demandait.

Г‰tait-elle naturellement une rebelle marginale ?

Ses mГ©thodes allaient-elles changer sans la В« mauvaise influence В» de Crivaro ?

Il veut une rГ©ponse honnГЄte, se rappela Riley.

Elle savait que cette honnГЄtetГ© pourrait mettre un terme Г  sa carriГЁre au DSC.

Sauf qu’elle n’avait pas vraiment le choix.

Elle prit une lente et profonde inspiration.

– Agent Lehl, je… ne peux pas changer qui je suis, dit-elle.

– Je vois, dit-il en fronçant les sourcils.

– Je peux seulement promettre de faire de mon mieux, si vous me laissez garder ma place bien sûr. Ce n’est pas mon intention d’être difficile à gérer. J’essaie au maximum de suivre les règles. Mais parfois, mon instinct l’emporte sur ma raison.

Elle fit une courte pause avant d’ajouter :

– Mais on m’a dit que mon instinct était plutôt bon. Même exceptionnel. Peut-être que… eh bien, peut-être qu’il y a un prix à cet instinct. Peut-être qu’il vient avec une part de rébellion…

Elle avait du mal à trouver ses mots. Mais en vérité, il n’y avait pas de bonne manière de dire ça.

– C’est à vous de décider si j’en vaux la peine. La balle est dans votre camp.

L’expression de Lehl changea légèrement, mais Riley eut du mal à la déchiffrer. Avait-elle vraiment vu un très léger sourire se dessiner sur ses lèvres ? Ce grognement était-il un rire ?

– Je me souviens d’un temps où l’Agent Crivaro était assis à la même place que vous, me tenant le même discours. Je l’avais trouvé convaincant à l’époque et je suppose que vous l’êtes aussi aujourd’hui.

Puis il leva son index et ajouta solennellement :

– Mais ne vous faites pas de fausses idées, il y a des limites à ma tolérance. J’aime que les choses soient carrées. Toute entorse au règlement aura des conséquences. Je vais veiller à garder un œil sur vous le plus possible.

Riley se sentait plus lГ©gГЁre.

– Oui, Monsieur, dit-elle. Merci, Monsieur.

Lehl haussa un sourcil.

– Pourquoi me remerciez-vous ? demanda-t-il.

– Eh bien, euh… bégaya Riley. De ne pas m’avoir viré ?

Lehl haussa les Г©paules. Il ne souriait plus maintenant.

– Oh, ça, dit-il. Ne le tenez pas pour acquis et ne vous relâchez pas trop. Je peux changer d’avis à tout moment.

– Je comprends, Monsieur, dit Riley.

Lehl ramassa un dossier de son bureau et commença à le feuilleter.

– Lorsque l’Agent Crivaro s’est présenté ce matin, j’avais l’intention de lui assigner une mission dans l’Utah. Je m’attendais à ce qu’il la prenne et vous réclame comme coéquipière, mais…

Le cœur de Riley se serra à l’idée de s’attaquer à une autre affaire si tôt. Elle ne pouvait pas travailler sans son partenaire, son mentor.

D’un coup, ce fut comme si elle pouvait de nouveau entendre la voix rocailleuse de Jake.

« Écoute, personne n’est parfait lors de ses débuts en solo. Tu dois seulement te préparer. »

Sans plus tarder, Riley lГўcha :

– Je veux cette affaire, Monsieur.

Avec un lГ©ger grognement, Lehl rГ©pliqua :

– C’est bien. Mais vous ne pensez quand même pas que je vais vous laisser y aller seule. Il vous faut un chaperon.

Riley ne put s'empГЄcher de grimacer en entendant ces mots.

Au mГЄme moment, un jeune homme aux cheveux courts et au teint clair entra dans le bureau. Riley se souvint alors du coup de fil que Lehl avait passГ© Г  son arrivГ©e.

– Merci d’être venu agent Johnson, dit Lehl en se levant. Je voudrais vous présenter l’agent spécial Riley Sweeney.

Puis il s’adressa à Riley :

– Voici l’agent spécial Cliff Johnson. Il est nouveau ici, mais vous avez peut-être déjà entendu parler de lui. Il a fait un excellent travail aux bureaux de Boston et il a demandé son transfert ici.

Riley avait effectivement entendu parler de Cliff Johnson. Il Г©tait arrivГ© avec une sacrГ©e rГ©putation.

– Il travaillera avec vous et sera votre supérieur, ajouta Lehl en fixant Riley.

Mon supГ©rieur ? pensa Riley.

Ça voulait dire que ce jeune homme allait lui donner des ordres. Même s’il s’était bâti une solide réputation, il venait tout juste d'arriver à Quantico et n’avait pas l’air beaucoup plus âgé qu’elle. Riley savait qu’elle n’était pas en position de contester la situation.

Lehl leur annonça :

– Un shérif de l’Utah a demandé l’aide du DSC. Il y a eu deux morts par électrocution là-bas, des homicides, selon lui.

Il tendit le dossier Г  Johnson et poursuivit :

– Il m’a faxé ces informations. Ce n’est pas énorme, mais je suis certain qu’il vous donnera plus de détails sur place.

Le regard passant de Johnson Г  Riley, Lehl ajouta :

– Il y a un avion qui vous attend sur le tarmac pour vous emmener dans l’Utah. Prenez vos sacs et partez maintenant.

Alors qu’elle quittait le bureau en compagnie de Johnson pour récupérer son sac en vitesse, les paroles de Lehl continuaient de résonner dans son esprit.

В« Il vous faut un chaperon. В»

Elle commençait à avoir un mauvais pressentiment sur cette affaire.

Elle aurait tout donnГ© pour la mener aux cГґtГ©s de Jake Crivaro.




CHAPITRE SIX


Alors que l’avion décollait, Riley regarda prudemment vers son nouveau partenaire. L’agent spécial Cliff Johnson était assis de l’autre côté de la table amovible, en face d’elle et regardait par la fenêtre.

Au vu des rumeurs, elle savait qu’elle devrait être reconnaissante de travailler avec lui. Même si Johnson n’avait que deux ou trois ans de plus qu’elle, il avait apparemment impressionné tout le monde à Boston. Il avait réussi à résoudre à lui tout seul une affaire de meurtrier pédophile.

Riley ne connaissait pas les détails de l’enquête, mais elle savait que Johnson était considéré comme une sorte de prodige. Un peu comme elle à son arrivée au DSC. Mais alors que Riley était arrivée à Quantico, réputée pour ses instincts, Johnson lui était connu pour ses talents d’analyste.

On va peut-ГЄtre se complГ©ter, pensa-t-elle.

Alors pourquoi avait-elle du mal Г  y croire ?

En y réfléchissant, Riley se rendit compte que ses appréhensions étaient liées à la pensée que son nouveau coéquipier n’était pas à la hauteur de sa réputation. Elle savait que les compétences d’analyses étaient plus faciles à comprendre pour les dirigeants du DSC que les instincts nébuleux qui avaient fait de Jake Crivaro un si bon agent. Après tout, Johnson n’avait pas encore bossé sur une seule affaire depuis son arrivée à Quantico. C’était même possible qu’il n’ait jamais traité de grosses affaires, contrairement à Jake et elle.

Plus elle y pensait, plus elle était énervée à l’idée qu’il lui donne des ordres.

Alors que l’avion atteignait son rythme de croisière, Johnson ouvrit le dossier que Lehl lui avait donné et partagea son contenu avec Riley.

– Alors, dit-il. Voyons voir à quoi nous avons à faire.

Riley ravala un ricanement. Les accents régionaux ne l'amusaient pas d’habitude, mais celui de Johnson était tellement marqué qu’on aurait dit une parodie des habitants de Boston. En plus de sa coupe réglementaire et de son apparence militaire, le ton qu’il utilisait montrait qu’il était issu d’un milieu privilégié. Il a dû suivre avait dû faire ces études dans l’une des prestigieuses universités de l’Ivy League.

Sa voix la surprenait dès qu’il prenait la parole et Riley se dit qu’elle ferait mieux de s’y habituer rapidement.

Pointant du doigt le dossier entre eux, Johnson dГ©clara :

– Nous avons deux morts par électrocution. Un certain Andy Gish a été électrocuté il y a une semaine à Prinneville dans l’Utah. La deuxième victime était un psychologue, Julian Banfield, décédé la nuit dernière à Beardsley. Beardsley et Prinneville sont situés dans le comté d’Hannaford. Le shérif, Collin Dawes, a demandé l’aide du DSC.

– Et Dawes pense que ce sont deux meurtres ? demanda Riley.

Johnson haussa les Г©paules.

– Il n’y a pas grand-chose dans le dossier. Nous savons seulement que les victimes étaient ligotées sur des chaises avant leur mort.

Le sourcil de Riley s'arqua de curiositГ©.

– Je ne me souviens pas avoir étudié des cas d’homicides par électrocution à l'Académie, dit-elle. Je me demande si c’est un mode opératoire fréquent.

Johnson s’enfonça dans son siège et se caressa le menton.

– Pas vraiment fréquent, mais pas inédit non plus, dit-il. Je suppose que vous connaissez la méthode de meurtre par électrocution la plus courante.

Riley fut déconcertée, voire irritée par ses manières, comme s’il interrogeait une élève. Néanmoins, une réponse lui vint grâce aux films qu’elle avait vus.

– Lâcher un appareil électrique dans une baignoire pendant que la victime prend son bain, dit-elle

Johnson acquiesça.

– Exactement. Même si nous n’avons pas de registre fiable du nombre de fois où cette méthode a été utilisée. Ce genre d'électrocution ne laisse aucune trace, pas même une brûlure. Si le tueur prend la peine de retirer l’appareil après coup, on peut alors avoir l’impression que la victime est morte naturellement, d’une crise cardiaque par exemple. Donc qui peut vraiment dire si cela arrive souvent ?

Il sourit avec ironie et ajouta :

– Il faut vraiment être un piètre tueur pour se faire attraper avec cette méthode. Il y a eu le cas d’un homme qui a tué sa femme en jetant le radiateur dans sa baignoire. Il aurait pu s’en tirer s’il n’avait pas emprunté la veille à la bibliothèque le livre L'Électricité pour les Nuls. Cela a attiré l’attention des policiers.

Pensif, Johnson continua, en regardant par la fenГЄtre :

– Autrement, l'électricité est assez compliquée à utiliser pour un meurtre. Je me souviens de quelques affaires, dont une où le mari avait enroulé un câble électrique nu autour du cou de sa femme. C’était un câble de trente ampères, dénué de sa protection.

Il pencha la tГЄte et ajouta :

– Mais ce genre de crime est rare. Peu de gens se laissent enrouler le cou ou les membres de câbles électriques. Il y a des moyens beaucoup plus simples de tuer quelqu’un.

La bouche de Riley tomba d’étonnement en entendant ces paroles.

Comment il sait tout Г§a ?

– Le deuxième meurtre n’a-t-il pas eu lieu la nuit dernière ? demanda-t-elle.

– Si

– Et on vient seulement de nous confier l’affaire ?

– Oui, pourquoi ?

– Eh bien, on dirait que vous avez déjà pris le temps d’étudier des affaires similaires.

Johnson sembla surpris.

– Ce sont juste des infos glanées lors de mes lectures personnelles, dit-il. Vous n’avez pas lu la Médecine Scientifique par Simpson ?

Riley répondit vaguement d’un geste. Elle connaissait le livre et en avait étudié les passages requis par l'Académie. Mais elle n’aurait jamais pensé qu'une personne ne travaillant pas dans le médico-légal le lirait d’un bout à l’autre.

On dirait qu’il le connaît par cœur, pensa-t-elle.

Apparemment indiffГ©rent Г  la rГ©action de Riley, Johnson continua de parler.

– Parfois, l'électrocution est utilisée post-mortem pour masquer un autre mode opératoire. Par exemple, je me souviens d’une affaire où le tueur étouffait ses victimes, puis électrocutait leur dépouille pour faire croire à un accident domestique. Mais bon, ça ne ressemble pas à notre affaire. Je suis curieux d’en savoir un peu plus.

Elle avait déjà entendu que Cliff Johnson était un Monsieur-Je-Sais-Tout en plus d’un fin analyste. Mais elle ne s’était pas rendu compte que c’était aussi une encyclopédie vivante.

Il se prend pour qui lui, Sherlock Holmes ?

Elle n’était pas pressée de jouer le rôle d'acolyte du Dr Watson.

Jetant un Е“il au dossier, Riley dit :

– La manière dont ils ont été ligotés requiert une certaine force physique, on a sans doute affaire à un homme.

Elle rГ©flГ©chit un moment et ajouta :

– La vraie question c’est pourquoi ?

– Pardon ? demanda Johnson en la fixant.

– Il doit bien y avoir un mobile. La police n’a trouvé aucun point commun entre les victimes. Cela veut-il dire qu’il n’y aura plus d’autre meurtre, ou au contraire que le tueur ne fait que commencer ?

Riley se pencha sur sa chaise et ajouta :

– Mais encore plus important, pourquoi prendre la peine de tuer une personne d’une façon aussi particulière ? Vous l’avez dit vous-même, tuer quelqu’un par électrocution est plutôt compliqué. Ce n’est pas hyper pratique. Il y a d’autres moyens beaucoup plus faciles.

Elle regarda Johnson dans les yeux et dit :

– Ce que je veux dire c’est… quelle est l’obsession de ce tueur ? Qu’est-ce qui le fait réagir ? Pourquoi est-il autant intéressé par l'électricité ?

Johnson semblait circonspect. Il finit par dГ©clarer :

– Il est évident que nous n’avons pas encore assez de données pour le savoir.

Puis il mit ses mains derrière sa tête et s’allongea dans son fauteuil le regard dirigé vers la fenêtre.

Riley faisait de son mieux pour ne pas fixer son coГ©quipier.

De donnГ©es ? pensa-t-elle.

Johnson croyait-il réellement pouvoir entrer dans la tête d’un tueur grâce à des données ?

Riley s’était elle-même déjà imprégnée de l’esprit d’un tueur, mais elle y allait toujours à l’instinct. Son talent était-il déjà devenu obsolète ? Johnson avait-il raison ? Les chiffres et les statistiques pouvaient-ils vraiment révéler la personnalité d’un tueur ?

Il est peut-être encore plus intelligent qu’il n’y paraît, pensa-t-elle.

Il y avait quasiment quatre heures de vol entre Quantico et l’aéroport de Provo dans l’Utah. Une fois qu’ils eurent survolés les Montagnes des Appalaches, Riley, bercée par la monotonie des paysages du Midwest, s'endormit.


*

Riley fut envahie d’un étrange et glaçant sentiment de déjà-vu en passant les menottes au tueur.

Elle avait dГ©jГ  vГ©cu cette scГЁne, pensa-t-elle.

J’ai déjà fait exactement la même chose.

Puis l’homme qu’elle menottait tourna son visage enfantin vers elle et sourit d’une façon diabolique.

– Bonne chance, murmura-t-il.

Avec un violent frisson, Riley recouvra la mГ©moire.

Larry Mullins !

Non seulement elle était de nouveau en train d'arrêter cet ignoble monstre tueur d’enfants, mais en plus il était encore en train de se moquer d’elle.

Une nouvelle fois, elle voulut attraper son pistolet.

Elle s’attendait à ce que Crivaro lui touche l’épaule en guise d’avertissement, comme la dernière fois.

Au lieu de Г§a, il lГўcha :

– Vas-y. On s’est trompé la dernière fois. Vas-y, bute-le. C’est la seule façon de se débarrasser de ce bâtard. Si tu ne le fais pas, c’est moi qui le ferai.

Riley attrapa l’homme menotté par l’épaule et le retourna pour lui faire face. Puis elle sortit son pistolet et tira un seul coup à bout portant, pile au milieu du torse. Elle sentit la satisfaction l’envahir alors qu’il s’effondrait. Mais lorsqu’elle baissa les yeux pour le regarder, son corps et son visage commencèrent à se transformer.

La personne couchée à ses pieds n’était plus le monstre rondouillard au visage d'enfant, mais une fille à l’apparence innocente. Ses yeux étaient écarquillés et sa bouche entrouverte laissait passer ses dernières respirations. Ses yeux emplis de tristesse fixèrent Riley avant de devenir complètement immobile.

Heidi Wright ! rГ©alisa Riley avec horreur.

Riley avait tué Heidi Wright plus tôt cette année dans l’état de New-York.

Et maintenant, elle recommençait…



Riley se réveilla en sursaut, se retrouvant dans la cabine de l’avion.

– Quelque chose ne va pas ? demanda l’agent Johnson, toujours assis juste en face d’elle.

– Non, rien, dit Riley.

Mais quelque chose n’allait vraiment pas. Elle venait de rêver de la première et seule fois où elle avait eu recours à son arme. En janvier dernier, lors d’une fusillade, une jeune femme prénommée Heidi Wright avait levé son pistolet en direction de Riley à quelques mètres d’elle.

Riley n’avait pas eu d’autre choix que de tirer la première.

Le tir était justifié et personne ne l’avait remis en cause. Néanmoins, elle avait été hantée par la culpabilité pendant des semaines. De son point de vue, la pauvre Heidi Wright était victime des circonstances et elle ne méritait pas de mourir à cause de ses erreurs de jeunesse.

Riley pensait avoir dГ©passГ© ce traumatisme avec le psychologue du DSC, mais apparemment, Г§a la rongeait toujours. Elle devina que ce sentiment Г©tait en lien avec le procГЁs de Mullins. Celui-ci avait dГ» faire remonter Г  la surface cet Г©pisode encore rГ©cent.

Mais elle ne pouvait pas se laisser aller. Maintenant, elle était sur une nouvelle affaire, avec un nouveau coéquipier, qui ne comprendrait sûrement pas ses sentiments à l’égard de la mort d’Heidi ou du verdict de Mullins.

Tu dois faire avec, se dit-elle.

Riley était maintenant complètement éveillée et l’avion survolait les Rocheuses en direction de l’Utah. Même si en cette saison, seuls les sommets étaient enneigés, le paysage fit remonter des souvenirs de son dernier passage dans l’Utah en décembre dernier. Elle y avait enquêté avec Crivaro sur sa toute première affaire en tant qu’agent officielle du DSC.

Le dossier d’aujourd’hui serait-il aussi horrible que celui qu’ils avaient résolu en décembre ? Celui du tueur en série qui ciblait des campings ? Ce n’était pas improbable compte tenu du mode opératoire du meurtrier. Mais réussiraient-ils cette fois à le retrouver avant qu’il ne fasse d’autres victimes ?

Le temps sera peut-ГЄtre plus clГ©ment, pensa-t-elle.

Alors que l’avion finissait sa course sur le tarmac, Riley se rendit compte qu’il lui restait une petite chose à régler. Elle était habituée à travailler avec un homme qui l’appelait « Riley » alors qu’elle l’avait toujours appelé « Agent Crivaro » du moins jusqu’à ce matin. C’était parfaitement naturel pour tous les deux.

À quel genre de formalités devait-elle s’attendre avec son nouveau coéquipier ?

Lorsque Johnson et elle se levГЁrent de leur siГЁge pour se diriger vers la sortie, elle l'interpella :

– Je voulais juste régler une chose entre nous avant que nous commencions à travailler ensemble.

– Laquelle ? demanda Johnson en mettant son manteau.

– Comment devons-nous nous adresser l’un à l’autre ?

Il haussa les Г©paules.

– Je préfère garder des relations professionnelles. Il est donc préférable que vous m’appeliez « agent Johnson. » Comment souhaitez-vous que je vous appelle ?

Elle appréciait le fait d’avoir le choix. Étant donné qu’il ne serait sûrement jamais un mentor pour elle, contrairement à Crivaro, elle ne voulait pas qu’il l’appelle « Riley. »

– J’aimerais que vous m’appeliez « agent Sweeney, » répondit-elle.

– D’accord. C’est noté.

À leur sortie de l’avion, sur le tarmac, un homme tassé fumant une cigarette les attendait. Riley trouva qu’il ressemblait aux détectives d’anciens polars. Il finit par ouvrir son trench-coat froissé pour montrer son badge.

– Je suis le Shérif Collin Dawes, se présenta-t-il.

– C’est vous qui avez demandé l’aide du DSC ? demanda Johnson.

Dawes acquiesça et Johnson les présenta lui et Riley.

Les deux hommes se tournГЁrent et marchГЁrent ensemble vers la voiture du ShГ©rif qui les attendait.

– On dirait que vous avez une situation inhabituelle par ici, dit Johnson à Dawes.

– Je n’ai jamais rien vu de pareil, répondit Dawes. Si nous n’avions pas de photos, ce serait difficile à décrire.

EmboГ®tant le pas aux deux hommes, Riley se sentit Г©trangement exclue.

Г‡a risque de devenir la norme, se dit-elle.

Je ferai sans doute mieux de m’y habituer.




CHAPITRE SEPT


Après être entrée dans la voiture du shérif en compagnie de Johnson, Riley dut de nouveau réprimer l’envie de se plaindre. Elle trouvait assez désagréable d’être assise à l’arrière à écouter les deux hommes discuter comme si elle était transparente, ou pire comme si elle était une enfant exclue d’une « conversation de grands. » Mais, essayant vraiment de s’adapter à son nouveau coéquipier, elle se força à ne rien dire et à écouter.

De sa voix basse et graveleuse, Dawes commenta :

– Je pensais ne plus voir ce genre de cas lorsque j’ai débarqué dans l’Utah. Je suis là depuis cinq ans et tout était plutôt ordinaire jusque-là. C’était très bien.

– Où étiez-vous auparavant ? demanda Johnson.

– Los Angeles, répondit Dawes. Comme enquêteur criminel. J’ai vu mon quota de meurtres là-bas, croyez-moi. Mais franchement, le meurtre par électrocution, c’est une nouveauté ! Vous allez me trouver vieux-jeu, mais j’ai davantage l’habitude des coups de poignards et des fusillades. On dirait bien que le mal est partout de nos jours.

Riley imaginait très bien ce qui avait poussé un enquêteur criminel à s’éloigner de Los Angeles. Dawes pensait certainement que l’Utah serait plus tranquille. Elle réalisa aussi que l’allure de dur à cuire de Dawes n'était pas qu’une façade. Il avait vu sa part d’horreurs et son attitude le prouvait.

Dawes dit Г  Johnson :

– Vous avez un accent de quelque part dans l’Est.

– Boston, répondit-il.

Dawes le regarda surprit.

– Boston ? Et votre nom c’est Johnson ? Je crois que j’ai entendu parler de vous. Ce n’est pas vous qui avez résolu l’affaire du meurtrier pédophile il y environ un an ?

– C’est ce qu’on dit, répondit Johnson avec un sourire tout sauf modeste.

– J’adorerais savoir comment vous avez fait, dit Dawes.

Dès que Johnson commença son histoire, Riley suspecta Dawes de regretter sa demande. D'après son propre récit, Johnson avait débusqué sa proie grâce aux statistiques, en divisant la ville en zones et en analysant la présence des agresseurs sexuels connus dans celles-ci, jusqu’à ce qu'il découvre habilement la cachette du meurtrier.

Riley devait admettre qu’utiliser les mathématiques pour attraper un meurtrier était un exploit impressionnant. Mais elle ne put s'empêcher de se demander si Johnson avait dû un seul instant quitter son bureau pour traiter cet amas de données ? Du moins avant qu’il ne dirige une équipe d’intervention dans ce qui ressemblait à une arrestation de routine.

Elle ne pouvait s'empêcher de comparer ce qu’il avait fait à ses propres affaires sur le terrain. En comparaison, on aurait dit que sa propre carrière n’était que chaos, danger et désordre. Mais elle ne se voyait pas réussir ce qu'elle et Jake avaient accompli sans aller directement sur le terrain à la recherche des tueurs.

Ce mec sait-il seulement ce que Г§a fait de se salir les mains ? se demanda-t-elle.

Comment allait-il réagir si cette affaire tournait mal, comme la plupart de ses enquêtes ? Elle promettait en tout cas d’être aussi horrible que les autres.

Et elle se demanda comment elle allait gérer le fait de recevoir des ordres d’un débutant qui pensait tout savoir.

MalgrГ© ses efforts pour rester concentrГ©e, Riley finit par filtrer le rГ©cit monotone de la seule affaire importante de Johnson et de ses donnГ©es statistiques. Elle se demanda si le ShГ©rif n'aurait pas aimГ© en faire autant.

ГЉtre coincГ©e sur la banquette arriГЁre a ses avantages en fin de compte, pensa-t-elle, sarcastique.

Elle passa le reste du trajet entre l'aéroport de Provo et la deuxième scène de crime à regarder par la fenêtre. L’immense vallée qu’ils traversaient était entourée par deux chaînes de montagnes aux sommets enneigés. Elle trouvait tout de même ce paysage austère et vide en comparaison de celui de Virginie, mais il n’était pas aussi déprimant que lors de son séjour en décembre. Il n’y avait pas de neige à cette altitude, la température était fraîche et plaisante. Des bourgeons apparaissaient un peu partout.

Ils s’approchèrent bientôt de Beardsley, une ville de petite taille posée près d’un lac pile au milieu des chaînes de montagnes. Enfin, le shérif se gara dans une large allée, devant une maison d’apparence récente et de style espagnol, précédé par un garage assez grand pour accueillir trois voitures.

En entrant, Riley remarqua deux valises posées près de la porte. Elle se demanda ce qu’elles faisaient là.

Montrant un boitier, Johnson demanda :

– Comment l’intrus a-t-il franchi le système d’alarme ?

– Nous n’avons pas eu le temps de vérifier.

Johnson inspecta l’appareil.

– Je connais ce système, dit-il. C’est un équipement de pointe. Si quelqu’un l’a piraté, il doit être sacrément bon en informatique. Ça n’a pas dû être facile. Qu’en est-il de l’autre maison, celle où la première victime a été tuée ?

– Il n’y avait pas d’alarme, dit Dawes. Pas de traces d’effraction non plus. Il se peut que les victimes aient laissé entrer le meurtrier.

Johnson regarda Riley et dit :

– Ça nous laisse deux possibilités. Soit le tueur a d’excellentes capacités de cambrioleur, soit les victimes le connaissaient et lui faisaient confiance.

Riley grimaça légèrement devant l’assurance de cette déclaration, comme s’il était parvenu à une formidable conclusion. À ce niveau de l'enquête, elle se dit que toutes les explications étaient encore possibles et qu’il valait mieux attendre davantage de précisions.

Ils suivirent Johnson à travers un hall cathédral. Un escalier menait à l’étage et une porte dissimulait une penderie. D’un côté du couloir, une porte ouverte donnait sur un bureau. Il y avait du ruban jaune en travers de la porte, l’équipe scientifique était à l’intérieur pour rassembler des preuves.

– Le bureau de la victime ? demanda Johnson.

– Non, de sa femme, répondit Dawes. Mais il y a des signes de lutte à l’intérieur, dont une lampe de bureau cassée.

DГ©signant le sol du bureau, Dawes ajouta :

– Vous pouvez voir des marques sur le sol. Il semblerait que la victime ait été attaquée ici puis traînée jusqu’au sous-sol. Comme précisé dans le rapport, la première victime a probablement été maîtrisée avec du chloroforme.

Johnson acquiesça et dit :

– Il y a de fortes chances qu’il se soit passé la même chose ici.

Riley ne pouvait le contredire, mais le ton de sa voix continuait de l’agacer. Elle aurait aimé pouvoir se faufiler sous le ruban et essayer de comprendre ce que ressentait le tueur au moment de l’attaque. Mais elle doutait que Johnson ou Dawes approuvent et ils auraient sûrement raison. Déranger le travail minutieux de l’équipe médico-légale n’était pas vraiment une bonne idée.

Alors qu’ils progressaient dans la maison, Riley remarqua qu’elle était décorée avec un goût certain, contrairement aux autres maisons luxueuses qu'elle avait eu l’occasion de visiter. Mais elle lui paraissait tout de même intimidante, trop spacieuse. D’après ce que Johnson et elle avait lu du dossier, Riley avait l’impression que les Banfield n’avaient pas d’enfant. Elle se demanda pourquoi deux personnes seules avaient besoin d’autant d’espace.

Dawes les escorta dans une grande piГЁce, avec Г  leur droite un salon et Г  leur gauche une salle Г  manger. La lumiГЁre du soleil inondait la piГЁce Г  travers les grandes fenГЄtres.

Il n’y avait aucun désordre. Tout semblait à sa place. Riley en déduisit que les personnes qui vivaient ici avaient une vie organisée et bien rangée.

Dans la pièce de vie, deux femmes étaient assises sur le duo de fauteuils en cuir couleur chocolat. L’une d’elle se leva pour les accueillir.

– Je me présente, Elaine Bonet, je suis la voisine. Je suis ici pour tenir compagnie à Sheila un petit moment. Le voisinage a l’intention de se relayer auprès d’elle. Nous ne voulons pas qu’elle reste seule.

Elaine Bonet portait un ensemble de jogging, comme si elle venait de courir ou de faire du sport. En comparaison, la femme de la victime était très élégante, comme si elle allait ou revenait d’un événement.

Alors que Riley et ses deux collègues s'asseyaient, elle s’aperçut que le visage de la femme de la victime lui était familier. L’avait-elle rencontrée en décembre dernier lors de son enquête avec Crivaro ?

Non, impossible.

Fouillant la pièce à la recherche d’indices, Riley remarqua un livre posé sur la table basse avec pour couverture le visage de la femme. Elle réalisa subitement.

Bien sГ»r ! Cette Sheila Banfield !

C'était une psychologue spécialisée dans les thérapies familiales qui avait écrit La Touche Analogue. Un bestseller sur l'éducation des familles à l’ère du numérique. Riley avait lu de très bonnes critiques, mais elle s’était dit qu’elle avait encore le temps avant de commencer à lire des livres sur l’éducation. Elle était embarrassée, comme si elle se sentait obligée de lui avouer qu’elle n’avait pas lu son livre.

Elle savait bien sûr qu’elle n’avait rien à craindre. Il était peu probable que ce soit le sujet de conversation. Sheila Banfield avait d’autres choses en tête pour l’instant.

Pourtant lumineuse et souriante sur la couverture de son livre, Sheila paraissait à cet instant étourdie et en état de choc. Lorsque Dawes eut fini les présentations, Sheila déclara d’un son proche du chuchotement.

– Le DSC. C’est bien. Merci d’être venu.

En se penchant vers elle, l’agent Johnson dit :

– Toutes nos condoléances pour ce qui est arrivé, Dr Banfield. Nous allons faire tout notre possible pour retrouver le coupable.

Sheila acquiesça silencieusement.

Riley remarqua qu’elle lançait des regards de tous les côtés d’un air perdu, comme si son environnement lui était inconnu. Elle avait déjà vu ce type de réaction parmi des proches endeuillés en d’autres occasions.

Il y avait une boîte de mouchoirs près de Sheila, mais elle semblait presque pleine. Sheila ne donnait pas l’impression d’avoir véritablement pleuré, mais Riley savait que ce moment arriverait, une fois le choc initial passé. C’était une bonne chose que ses amis soient là pour l’épauler.

À la demande de Johnson, Sheila commença à raconter les faits.

– J’étais dans le Nord-Ouest depuis plusieurs jours pour des dédicaces, dit-elle. Elle désigna le livre et ajouta, gênée. J’ai, euh, écrit ça. Vous en avez peut-être entendu parler. Je voyage beaucoup pour le promouvoir. J’étais partie depuis plusieurs jours.

Elle inspira profondГ©ment et continua :

– La nuit dernière, après avoir terminé ma tournée, j’ai pris l’avion à Seattle. Ma voiture m’attendait sur le parking de l’aéroport de Provo. Lorsque j’ai commencé à voyager, Julian…

Elle fit une pause Г  la mention de son mari.

Puis elle reprit :

– Julian avait l’habitude de me conduire et de me récupérer à l’aéroport lors de mes tournées. Mais c’était beaucoup d’organisation, surtout que nous avons deux voitures et je… j’ai suggéré de m’y rendre seule. Il semblait apprécier l’idée. Peu importe…

Sa voix s’éteignit un instant.

– Je suis rentrée tard la nuit dernière, vers minuit trente. Lorsque je suis entrée, j’ai remarqué que le système d’alarme n’était pas enclenché. Ça m’a inquiété. Julian n'était pas du genre à oublier de l’activer à la tombée de la nuit. Toutes les lumières du rez-de-chaussée étaient allumées, je me suis donc dit que Julian devait encore être debout et je suis entrée.

Et vous avez laissГ© vos valises prГЁs de la porte, pensa Riley, ajoutant mentalement les dГ©tails.

– J’ai vu que la porte de mon bureau était ouverte et la lumière allumée à l’intérieur, continua Sheila. J’ai trouvé cela bizarre, car il n’y allait que très rarement. J’ai regardé à l’intérieur et j’ai vu que la lampe était cassée, on aurait dit que quelque chose… d’horrible était arrivé et j’ai commencé à avoir peur.

Elle tremblait et pendant un moment, Riley se demanda si elle n’allait pas s’écrouler sous le poids de ses émotions. Mais Sheila continua de parler d’une voix étrangement détachée, comme si elle racontait l’histoire de quelqu’un d’autre.

Riley était habituée à ce genre de distanciation émotionnelle déjà rencontrée lors d’autres entretiens. Elle ne savait pas si l’agent Johnson comprenait ce que ressentait cette femme, ou plutôt ce qu’elle ne ressentait pas.

– Je l’ai appelé, dit Sheila. Il ne m’a pas répondu. Je suis descendu à sa recherche. Je n’ai pas pris la peine de vérifier l’étage. Les lumières du haut étaient éteintes et j’étais sûre qu’il n’était pas allé se coucher en laissant les lumières du bas allumées et l’alarme désactivée.

DГ©signant un endroit de la maison, elle ajouta :

– Je suis allée dans la cuisine et j’ai vu qu’il s’était préparé un encas. L’espace d’un instant la bouche de la femme endeuillée se tordit comme si elle se souvenait d’une chose, puis elle continua. J’ai remarqué que la porte du sous-sol était ouverte, que lumière était allumée et…

Elle frissonna et se figea.

Riley sentit qu’elle n'arriverait pas à décrire ce qu’il s’était passé ensuite.

C’est le moment de changer de sujet, réalisa-t-elle.

– Dr Banfield, votre mari avait-il des ennemis ? Est-il possible que quelqu’un ait put vouloir lui faire du mal ?

Sheila soupira et rГ©pondit :

– Malheureusement oui, c’est possible.

Riley fГ»t surprise.

– Pouvez-vous me dire qui ? dit-elle.

Sheila haussa les Г©paules.

– Difficile à dire. Sa spécialité en tant que psychologue consistait à travailler avec des criminels, des délinquants juvéniles aux meurtriers purs et durs. Son but était de les aider à dépasser leurs traumatismes et à gérer de lourdes maladies mentales. Il trouvait cela tellement gratifiant et la plupart du temps il aidait vraiment ses patients dans leur réhabilitation. Mais parfois…

Elle marqua une pause et inspira lentement.

– Parfois, ça ne fonctionnait pas aussi bien, ajouta-t-elle. Parfois ses patients s’enfonçaient dans la colère et l’hostilité et parfois ils la retournaient contre lui. Mais… je ne me souviens pas l’avoir entendu mentionner ce genre de cas récemment. Je crois que la plupart de ses patients sont soit en prison, soit en centre spécialisé.

– Pouvez-vous nous donner accès aux dossiers médicaux de ses patients ? demanda Riley.

Sheila plissa les yeux

– Je ferai tout ce qui est légalement possible. Ce ne sera pas facile. Il a travaillé pour beaucoup d’établissements au fil des années, parfois plusieurs en même temps. Ce sont ces structures qui ont les dossiers.

Riley demanda :

– Pourriez-vous faire une liste de ces dossiers et les envoyer par email ou par fax au bureau du shérif ?

– Oui, c’est possible, répondit Sheila.

– Vous devriez rester là et continuer l'entretien pendant que le shérif me montre la scène du crime, dit Johnson à Riley.

Elle grimaça, énervée. Deux choses l’avaient dérangée. D’abord, Johnson avait utilisé l'expression « scène du crime » devant une veuve éplorée. Mais encore pire, il pensait pouvoir l’exclure de l’endroit où le meurtre avait eu lieu.

Que croyait-il ? pensa-t-elle.

Essayait-il de la protéger de la vision d’une scène aussi horrible ?

N’avait-il aucune idée du genre d’horreurs dont elle avait déjà été témoin ?

Évidemment, elle n’allait pas lui en parler ici et maintenant…

Celui qui m'empêchera d’aller dans ce sous-sol n'est pas né.

Elle parla d’une voix exagérément douce en espérant faire passer son mécontentement.

– On devrait laisser le Dr Banfield se reposer un peu. Je vais vous accompagner.

Johnson haussa les épaules, apparemment indifférent à l’irritation de Riley.

– D’accord, dit-il. Allons-y.

Le shérif Dawes les guida à travers la cuisine. Riley remarqua qu’une poêle était restée sur la plaque. Une fois arrivés à la porte du sous-sol, Dawes les emmena en bas.

Les yeux de Riley s'Г©carquillГЁrent.

Elle avait vu son lot de scènes de crime durant sa courte carrière, mais elle n’avait jamais rien vu de tel.




CHAPITRE HUIT


En plus d’être perturbante, Riley trouva la mise en scène du sous-sol complètement absurde. Deux belles chaises en bois assez imposantes se faisaient face, séparées d’un mètre à peine. Près de l’une de ces chaises, posée sur une petite table, se trouvait une bouteille de vin ouverte. Sur l’autre chaise, on pouvait encore voir des traces d’adhésif là où la victime avait été attachée. Juste devant celle-ci, un élégant plateau en argent était posé sur le sol.

C’était bien plus qu’un simple meurtre. Une mise en scène macabre s’était déroulée ici, mais Riley avait, pour l’instant, du mal à la comprendre.

Elle ne fut pas surprise de voir que le corps de la victime n’était plus là. Le médecin légiste du comté avait dû vouloir pratiquer au plus vite l’autopsie. Mais Crivaro aurait sûrement désapprouvé. Bien que déplaisante, la vue du corps aurait donné aux agents une image plus précise des événements.

– Vous avez des photos ? demanda-t-elle à Dawes.

– Oui, ici, dit-il en ouvrant un dossier contenant des clichés en noir et blanc. Nous les avons prises ce matin.

Riley et Johnson s’échangèrent les photos. Elles montraient la scène de crime au moment de l’arrivée de la police. La victime était encore attachée sur la chaise, la tête penchée vers l’avant, comme si elle s'était endormie.

Alors que Riley se rapprochait des chaises, le shГ©rif indiqua sur les photos le plateau en argent en ajoutant :

– Les pieds de la victime étaient maintenus dans l’eau.

Riley constata en observant le plateau qu’il restait effectivement un fond d’eau à l’intérieur. Le shérif lui montra un gros câble électrique posé au sol. Le bout avait été dénudé pour exposer les fils métalliques.

– Le tueur a branché le câble au disjoncteur, ajouta Dawes. Puis il a jeté la partie dénudée dans l’eau. Cela a fermé le circuit et la victime a été électrocutée immédiatement.

Le mot « immédiatement » sonnait faux aux oreilles de Riley. La victime avait sans doute eu une mort rapide, mais il s’était passé autre chose. Il y avait vraisemblablement eu une sorte d’interaction entre le tueur et sa victime. Selon elle, le meurtre n’avait pas été « immédiat. »

Riley voulait par-dessus tout savoir ce qu’il s’était dit entre eux.

– Je vois, dit Johnson en acquiesçant. Il enfila une paire de gants. L’eau est un excellent conducteur électrique, tout comme l’argent. Le tueur devait avoir des semelles en caoutchouc pour se protéger. Je suppose que le circuit a grillé au moment de l’électrocution.




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